La finance et l’économie réelle
Un projet de contribution à un livre d’Attac
Pour consulter les graphiques : http://hussonet.free.fr/attacris.pdf
La crise actuelle est née dans la sphère financière et, manifestement, elle n’y
restera pas cantonnée. Ce constat pose deux questions. Une question d’ordre
théorique : comment analyser les rapports entre finance et économie réelle ? Et une
question plus pratique : quels sont les canaux de transmission de l’une à l’autre ?
Quelle articulation entre finance et économie réelle ?
Très schématiquement, on peut dire que deux thèses s’opposent sur ce point, selon
que l’on considère la finance comme parasitaire ou fonctionnelle. Pour mieux
discuter ces deux positions, on peut partir d’un trait essentiel du capitalisme
contemporain. Depuis le tournant néo-libéral du début des années 1980, le taux de
profit s’est considérablement rétabli, mais cela n’a pas conduit à une augmentation
du taux d’accumulation. Autrement dit, les profits supplémentaires ont été utilisés à
autre chose qu’à l’investissement. Manifestement, le « théorème de Schmidt »
énoncé par le chancelier allemand Helmut Schmidt au début des années 1980 (« les
profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-
demain ») n’a pas fonctionné. Ce comportement, inédit dans l’histoire du
capitalisme, est établi et souligné par de nombreux analystes, et il constitue un
élément-clé de notre critique du capitalisme financiarisé.
Une partie croissante des richesses produites est donc captée par les profits
bancaires et les dividendes. La première explication de ce phénomène consiste à
dire que la finance pompe les profits réalisés par les entreprises du secteur
productif. On parle alors d’une finance parasitaire ou prédatrice, dont les exigences
de rentabilité iraient croissant et exerceraient une pression toujours plus forte sur la
gestion des entreprises et notamment sur l’emploi. Cette interprétation contient une
part de vérité mais elle risque d’exonérer le capitalisme productif. Il y aurait en
somme un « bon » capitalisme qui serait empêché de fonctionner correctement par
la ponction opérée par la finance. Une telle grille de lecture implique logiquement
que l’horizon d’un projet alternatif pourrait se limiter à la régulation du
capitalisme : en le soulageant de cette pression financière dont viennent tous les
maux, on pourrait lui redonner les moyens de fonctionner normalement.
Cette approche n’est pas satisfaisante car elle ne peut rendre compte des mutations
du capitalisme depuis son entrée dans la phase néo-libérale. Les transformations du
système financier doivent être analysées à partir de deux tendances essentielles à
l’œuvre depuis le début des années 1980. La première est la baisse continue de la
part des richesses produites qui revient aux salariés, à peu près partout dans le
monde. Même le FMI ou la Commission européenne en font aujourd’hui le constat.
C’est cette baisse de la part salariale qui a permis un rétablissement spectaculaire
du taux de profit à partir du milieu des années 1980. Mais ce surcroît de profit n’a
pas été utilise pour investir plus (voir encadré 1).
Encadré 1 : Les profits augmentent mais pas l’investissement
Le graphique ci-dessous compare les variations en pourcentage du taux de marge
(la part du profit dans le PIB) et du taux d’investissement (en proportion du PIB)
entre les périodes 2000-2006 et 1980-1990. Voici ce qu’il montre :
üle taux de marge a augmenté d’une période à l’autre dans tous les pays (sauf
l’Islande !).
– l’augmentation du taux de marge a conduit à une moindre augmentation du taux
d’investissement sauf en Islande, en Belgique et en Espagne : tous les autres pays
sont en dessous de la diagonale qui correspond à une répercussion proportionnelle
du profit vers l’investissement.
– dans un grand nombre de pays (en bas à droite), le taux d’investissement a même
baissé en dépit de l’amélioration du taux de marge. C’est le cas des Etats-Unis, du
Canada, du Japon de l’Australie, et en Europe de la France, du Royaume-Uni et de
l’Italie. L’Allemagne ne figure pas dans le graphique à cause de la réunification
mais elle ne fait pas exception à cette règle sur la période ultérieure.
Source : ONU, World Economic and Social Survey 2008, Figure II.8
La masse croissante de profits non investis a été principalement distribuée sous
forme de revenus financiers, et c’est là que se trouve la source du processus de
financiarisation. La différence entre le taux de profit et le taux d’investissement est
d’ailleurs un bon indicateur du degré de financiarisation. On peut aussi vérifier que
la montée du chômage et de la précarité va de pair avec la croissance de la sphère
financière. Là encore, la raison est simple : la finance a réussi à capter la majeure
partie des gains de productivités au détriment des salariés, en modérant les salaires
et en ne réduisant pas suffisamment, voire en augmentant, la durée du travail.
Les rapports entre capital productif et capital financier se sont donc profondément
modifiés. Mais c’est plutôt dans le sens d’une imbrication croissante : on est passé
d’une économie d’endettement, où c’est le crédit bancaire qui assure le
financement des entreprises à une économie financiarisée où les entreprises ont
développé leurs propres activités financières. L’exigence de la finance d’une
rentabilité très élevée vient, par un effet en retour, peser sur les conditions de
l’exploitation des travailleurs. On ne peut pas pour autant dissocier artificiellement
le rôle de la finance et celui du conflit entre capital et travail pour le partage de la
valeur ajoutée. Ce n’est pas la montée de la finance qui fait baisser les salaires mais
c’est, à l’inverse, la montée des profits non investis qui nourrit la finance.
Si l’on raisonne en termes de circuit économique, on se trouve alors face au
problème suivant. La part des salaires baisse et celle de l’investissement stagne :
dans ces conditions, qui va acheter une production qui continue à croître ? La
solution à cette difficulté repose sur le recyclage des profits non investis, qui
s’effectue à travers la redistribution opérée par la finance.
La financiarisation n’est donc pas un facteur autonome et elle apparaît comme la
contrepartie logique de la baisse de la part salariale et de la raréfaction des
occasions d’investissement suffisamment rentables. C’est pourquoi la montée des
inégalités sociales (à l’intérieur de chaque pays et entre zones de l’économie
mondiale) est un trait constitutif du fonctionnement du capitalisme contemporain.
Cette approche de la finance se renforce avec la prise en compte de la
mondialisation. Dans la constitution progressive d’un marché mondial, la finance
joue son rôle qui consiste à abolir, autant que faire se peut, les délimitations des
espaces de valorisation. La grande force du capital financier est en effet d’ignorer
les frontières géographiques ou sectorielles, parce qu’il s’est donné les moyens de
passer très rapidement d’une zone économique à l’autre, d’un secteur à l’autre : les
mouvements de capitaux peuvent désormais se déployer à une échelle
considérablement élargie. La fonction de la finance est ici de durcir les lois de la
concurrence en fluidifiant les déplacements du capital (voir encadré 2).
La configuration actuelle de l’économie mondiale renforce ce mécanisme. Elle est
en effet fondamentalement déséquilibrée puisque le déficit des Etats-Unis est
financé par le reste du monde. Or, ce déséquilibre contribue à créer une masse
énorme de liquidités à la recherche de la rentabilité maximale qui alimentent la
finance et ajoutent à son instabilité intrinsèque.
La caractéristique principale du capitalisme contemporain ne réside donc pas dans
l’opposition entre un capital financier et un capital productif, mais dans la
dévalorisation du travail et dans l’hyper-concurrence entre capitaux à laquelle
conduit la financiarisation.
Encadré 2 : L’investissement productif baisse, les investissements financiers explosent
Le second graphique a l’intérêt de fournir des données portant sur l’économie
mondiale. On constate que :
– le taux d’investissement mondial (en pourcentage du produit mondial brut). Il
fluctuait autour de 25 % dans les années 70, et fluctue autour de 22% durant les
années récentes.
– les flux d’investissement à l’étranger représentaient moins de 5 % du PIB
mondial jusqu’en 1980. Ils en sont aujourd’hui à plus de 20 %.
Source : ONU, communiqué de presse, graphique 2
Il faut aller plus loin et se poser la question de savoir pourquoi le capitalisme
investit aujourd’hui une proportion moindre de ses profits. On peut encore une fois
y voir la pression de la finance mais celle-ci ne s’exercerait pas avec la même force
si le capitalisme disposait de suffisamment d’occasions d’investissements
rentables. C’est ici qu’apparaît le caractère systémique de la crise qui se situe à un
niveau plus profond, et met en cause les ressorts essentiels de ce mode de
production. La source de cette crise est au fond l’écart croissant qui existe entre les
besoins sociaux de l’humanité et les critères propres au capitalisme. La demande
sociale se porte sur des marchandises qui ne sont pas susceptibles d’être produites
avec le maximum de rentabilité. Les gains de productivité autorisés par les
nouvelles technologies et l’innovation conduisent à une offre (rentable) qui est de
moins en moins en adéquation avec cette demande sociale qui, du coup, n’apparaît
pas suffisamment rentable.
Cet écart se creuse selon deux dimensions principales. La première, dans les pays
développés, est le déplacement de la demande des biens manufacturés vers des
services auxquels sont associés de moindres gains de productivité et donc de
moindres perspectives de profit. Aucun débouché n’a pris le relais à une échelle
5
suffisante pour jouer le même rôle que l’industrie automobile durant la phase
« fordiste » précédente. La seconde dimension est géoéconomique et résulte de la
mondialisation : celle-ci tend à créer un marché mondial, autrement dit un espace
élargi de valorisation. Les moindres niveaux de productivité des secteurs les moins
avancés sont directement confrontés à des exigences de rentabilité alignées sur les
performances des pays ou des entreprises les plus performantes. Il en résulte un
effet d’éviction qui fait qu’un certain nombre de productions et donc de besoins
sociaux qu’elles pourraient satisfaire, ne sont plus éligibles compte tenu des
critères d’hyper-rentabilité auxquels elles se trouvent confrontées.
Dans ces conditions, la reproduction du système passe par un double mouvement,
d’extension du domaine de la marchandise et de refus de répondre aux besoins non
rentables. Le capitalisme contemporain a donc réuni les conditions qu’il
revendique pour un fonctionnement optimal de son point de vue. Plutôt qu’une
amélioration du bien-être social, la concurrence pure et parfaite, débarrassée des
réglementations, rigidités et autres distorsions, fait apparaître une absence totale de
légitimité, puisque la régression sociale est explicitement revendiquée comme la
principale condition de réussite du système. Dans ce cadre, la finance n’est pas
seulement la contrepartie d’une exploitation accrue des travailleurs, elle est aussi
un déversoir pour les capitaux à la recherche de la rentabilité maximale. Les
exigences démesurées de rentabilité qu’elle impose à l’économie réelle renforcent à
leur tour le faible dynamisme de l’investissement et les inégalités sociales comme
condition de reproduction du système.
Quels canaux de transmission ?
En 1987, un krach boursier de grande ampleur avait conduit la plupart des
économistes à prévoir un ralentissement brutal de l’économie mondiale. C’est
l’inverse qui s’est passé : à partir de 1988, les pays développés ont connu un cycle
de croissance très dynamique. La crise boursière ne s’était donc pas transmise à
l’économie réelle et, au contraire, elle avait servi de purge et permis de remettre les
compteurs à zéro. C’est après tout une fonction classique des crises que d’apurer
les comptes et d’éliminer les canards boiteux.
Quelques années plus tard, une crise immobilière et hypothécaire de grande
ampleur est venue frapper le Japon, présenté à l’époque comme la puissance
montante à l’assaut des marchés mondiaux. S’ouvre alors une décennie de
croissance à peu près nulle, dont l’économie japonaise a eu du mal à sortir.
La finance est donc plus ou moins autonome selon les lieux et les époques et il faut
se poser aujourd’hui la question de savoir si la crise financière va se communiquer
à l’économie réelle. Une première thèse consiste à dire que le ralentissement actuel
ne s’explique pas principalement par la crise financière, mais par d’autres facteurs :
hausse du prix du pétrole et des matières premières, politiques monétaire et
budgétaire et taux de change trop élevé en Europe, concurrence des pays
émergents, etc. En tant que telle, la crise financière concernerait avant tout les
Etats-Unis et aurait relativement peu d’effet sur la conjoncture mondiale. La
demande des pays émergents serait là pour prendre le relais des Etats-Unis, selon la
thèse dite du découplage. L’intervention des banques centrales permettraient
d’éviter un enchaînement semblable à celui de la grande crise de 1929 et
permettrait d’étaler dans le temps les pertes des banques. Bref, la sphère financière
et la sphère économique seraient relativement compartimentées.
Cette analyse s’appuie sur des réalités indéniables mais n’en tire pas les
conséquences qui vont à l’encontre de son relatif optimisme. Il est vrai que la crise
combine plusieurs dimensions, et notamment la hausse du prix du pétrole et des
matières premières. Mais, premièrement, ces différents aspects font précisément
système et renvoient au fond à une origine commune, qui est l’organisation actuelle
de l’économie mondiale. C’est ne rien comprendre à la crise actuelle que de penser
qu’on peut la découper en compartiments étanches. Cette simultanéité va au
contraire renforcer les effets en retour de la crise financière sur l’activité
économique.
Les effets de la crise immobilière et financière se transmettent à l’économie réelle à
travers plusieurs canaux :
– les restrictions sur le crédit concernent aussi bien la consommation des ménages
que l’investissement des entreprises. Cet effet sera plus marqué dans les pays
comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni où la consommation des ménages est
tirée par l’endettement ;
– la dévaluation du patrimoine financier et immobilier des ménages va les inciter à
moins consommer : c’est ce que l’on appelle effet de richesse ;
– l’incertitude générale pèse sur les comportements de consommation et
d’investissement ;
– la crise immobilière contribue en tant que telle au ralentissement économique
général ;
– les dépenses publiques destinées à nationaliser de fait les institutions en difficulté
(comme Freddie Mas et Fannie Mae aux Etats-Unis) représentent des sommes
considérables qui vont nécessiter une réduction des dépenses ou une augmentation
des impôts ;
– enfin, le ralentissement se transmet à l’ensemble de l’économie mondiale à
travers le commerce et les investissements.
Tous ces mécanismes sont actuellement à l’œuvre et se combinent avec les autres
dimensions de la crise (pétrole, etc.) pour étendre ses effets bien au-delà de la
sphère financière. Il n’y a pas de cloison étanche entre la finance et l’économie
réelle, parce que la finance est une pièce maîtresse du capitalisme néo-libéral. Cela
veut dire aussi que les fondements mêmes de son fonctionnement actuel vont être
remis en cause par la crise financière de. Prenons le modèle de croissance des
Etats-Unis : il repose sur un double déficit, déficit commercial à l’extérieur et
déficit d’épargne à l’intérieur. Dans les deux cas, la finance joue un rôle essentiel
dans la gestion de ces déséquilibres : à l’intérieur, c’est elle qui a rendu possible la
croissance de l’endettement, notamment sur le marché hypothécaire ; à l’extérieur
elle a pour fonction d’assurer l’équilibre de la balance des paiements. Mais si la
finance se dégonfle, ce sont les bases de ce mode de croissance qui vont être
remises en cause : l’endettement des ménages est dorénavant bloqué, et les entrées
de capitaux ne sont plus garanties. Par conséquent, la crise financière va se traduire
par un ralentissement durable de la croissance aux Etats-Unis qui va se
communiquer au reste du monde.
Cette analyse conduit à cette conclusion générale : la réglementation de la finance
est un remède nécessaire mais qui ne peut suffire, parce qu’il ne s’attaque pas aux
racines du mal. On a vu que la financiarisation se nourrit de la baisse de la part
salariale et des déséquilibres de l’économie mondiale. Pour dégonfler la finance, il
faudrait donc fermer ces deux robinets qui l’alimentent, ce qui implique une autre
répartition des richesses, et une autre organisation de l’économie mondiale.
Trois questions sur la crise
Quelle est votre lecture du discours de Toulon ? Sarkozy signe-t-il le retour de l’intervention de
l’Etat dans l’économie ?
Ce discours représente sans doute le stade suprême de la démagogie quand on le rapproche des
politiques menées par Sarkozy depuis son élection. Il a cependant le mérite de reconnaître que la
déréglementation a conduit à la catastrophe et certainement pas à un financement optimal de
l’économie. Cette volte-face est commune à bien des économistes officiels qui redécouvrent la nécessité
d’une réglementation après s’être fait les champions du marché. Mais Sarkozy établit aussitôt une ligne
de démarcation en distinguant le bon capitalisme de sa perversion financière, et en opposant la
régulation du système à l’anticapitalisme. En réalité, la finance fait partie intégrante du capitalisme et on
ne peut réguler la première sans remettre en cause les fondements de l’ensemble du système. Quant à
l’intervention de l’Etat, le principe est simplement réaliste : si on peut s’en dispenser, tant mieux. Mais si
elle est le seul moyen de préserver les intérêts des possédants, alors on en passera par là.
Michel Rocard parle « d’immoralité globale de la profession bancaire ». La crise qui fait l’actualité
est-elle le seul fait du système bancaire ?
L’essence du capitalisme est de ne connaître d’autre morale que le profit. Seule la contrainte peut le
moraliser en partie, et provisoirement. L’immoralité du système lui est donc intrinsèque et, dans sa
configuration actuelle, elle s’exprime par un gel à peu près universel des salaires. Mais comme ce
surcroît de profit ne s’investit pas, cette répartition inégalitaire des revenus conduit à la libération de
masses de capitaux en quête de la rentabilité maximale. La déréglementation, contre laquelle Rocard
n’a évidemment rien fait quand il était Premier ministre, permet aux banques de se comporter comme
de véritables escrocs. Mais cette immoralité est en quelque sorte dérivée de l’immoralité fondamentale
qui est la dévalorisation continue de la force de travail. D’ailleurs, les rémunérations extravagantes des
dirigeants, les dividendes déversés vers les actionnaires, l’utilisation frauduleuse des paradis fiscaux,
ne sont pas l’apanage des seuls banquiers.
Y-a-t-il aujourd’hui une alternative crédible à la financiarisation de l’économie ?
La régulation de la finance est nécessaire mais elle n’est pas suffisante : les réglementations seront
contournées et une autre bulle se développera à partir des masses énormes de liquidités injectées par
les différents plans de sauvetage. Une véritable alternative à la financiarisation nécessite de fermer les
robinets qui l’alimentent, à savoir le recul de la part des salaires et les déséquilibres de l’économie
mondiale. Cela passe dans les deux cas par une répartition des revenus plus égalitaire des revenus qui
ferait cesser la ponction opérée sur les salaires et réorienterait les économies vers la satisfaction des
besoins sociaux domestiques. Pour qu’une telle alternative soit crédible, il faut expliquer que la crise est
celle du capitalisme et pas seulement de la finance, et lui opposer des mesures d’urgence radicales. Par
exemple un « bouclier social » affectant les dividendes à un fonds de défense de l’emploi et des salaires
et une véritable nationalisation des banques sans contrepartie.
* Paru dans Cerises, journal des communistes unitaires.
Pour un « bouclier social »
Dans cette période de crise, il faut faire preuve d’audace et aller à la racine des choses. L’une des
principales sources de la financiarisation est le détournement de richesse au détriment des salariés
et au bénéfice des rentiers. Les réponses à la crise ne peuvent se borner à des appels à la
réglementation mais doivent peser sur les rapports entre capital et travail et, dans l’immédiat,
protéger les salariés contre les retombées de cette crise.
La première proposition serait de geler les dividendes versés à leur niveau actuel et de les
transférer à un fonds de mutualisation destiné à d’autres usages, sous contrôle des salariés. Ces
sommes pourraient être utilisées, dans des proportions à discuter démocratiquement, au maintien
du revenu des chômeurs (l’interdiction des dividendes financerait ainsi l’interdiction des
licenciements) et au financement de la Sécurité sociale, des budgets sociaux et des service publics.
La seconde proposition consisterait à imposer le maintien du pouvoir d’achat des salariés en
retirant à due proportion les aides publiques aux entreprises qui s’y refuseraient.
De telles mesures sont les seules susceptibles de faire payer les responsables de la crise en offrant
un « boucler social » aux salariés, et elles jetteraient les bases d’une meilleure répartition des
richesses. Les sommes potentiellement concernées sont de 90 milliards d’euros : c’est 5 % du Pib,
soit exactement la même proportion que les 700 milliards de dollars prévus par le plan Bush aux
Etats-Unis.
* Paru dans Politis n°1020, 3 octobre 2008.
Le taux d’accumulation ne suit plus le taux de profit
Les graphiques non reproduits ici peuvent être consultés sur :
http://hussonet.free.fr/husso2.pdf
Le taux de profit rapporte le profit au capital. Le taux d’accumulation compare l’investissement au capital.
Normalement, les évolutions du taux d’accumulation suivent de près celles du taux de profit (« Accumulez, accumulez !
C’est la loi et les prophètes ! » écrivait Marx dans Le Capital).
Or cette loi ne fonctionne plus depuis le début des années 80, comme le montrent les graphiques ci-dessous (on peut les
agrandir en cliquant dessus).
Pour chacun des grands pôles de la « Triade », ils comparent deux courbes : la verte - le taux de profit - monte (ou se
maintient dans le cas du Japon) tandis que la rouge - le taux d’accumulation - reste plate ou tend même à reculer.
Cette configuration inédite traduit une augmentation de la part du profit non investi, qui est une tendance
caractéristique du capitalisme contemporain. Deux grandes explications sont possibles :
– la ponction opérée par la finance parasitaire ;
– la réduction des occasions d’investissement très rentables.
Ces deux explications doivent être hiérarchisées : c’est le second phénomène qui est la cause principale et la ponction de
la finance en est un effet dérivé. Pour une argumentation plus détaillée, voir ci-dessus le chapitre : « La finance et l’économie réelle ».
***
Taux de profit (échelle de gauche) Taux d’accumulation (échelle de droite)
Les données utilisées dans les graphiques proviennent de la base de données Ameco de la Communauté européenne. On y
trouve des séries de taux de profit (Net returns on net capital stock : total economy, base 100 en 2000) qui ont été pondérées
par la taille du capital net. Le taux d’accumulation est ici le taux de croissance du stock de capital net aux prix de 2000).
Note hussonet n°2, 25 septembre 2008.
La tendance à la baisse de l’investissement
1. Les profits augmentent mais pas l’investissement
Les graphiques non reproduits ici peuvent être consultés sur :
http://hussonet.free.fr/husso1.pdf
Le premier graphique compare les variations en pourcentage du taux de marge (la part du profit dans le PIB) et
du taux d’investissement (en proportion du PIB) entre les périodes 2000-2006 et 1980-1990. Voici ce qu’il
montre :
– le taux de marge a augmenté d’une période à l’autre dans tous les pays (sauf l’Islande !).
– l’augmentation du taux de marge a conduit à une moindre augmentation du taux d’investissement sauf en
Islande, en Belgique et en Espagne : tous les autres pays sont en dessous de la diagonale qui correspond à une
répercussion proportionnelle du profit vers l’investissement.
– dans un grand nombre de pays (en bas à droite), le taux d’investissement a même baissé en dépit de
l’amélioration du taux de marge. C’est donc le cas des Etats-Unis, du Canada, du Japon de l’Australie, et en
Europe de la France, du Royaume-Uni et de l’Italie. L’Allemagne ne figure pas dans le graphique à cause de la
réunification qui rend les comparaisons difficiles.
Source : ONU, World Economic and Social Survey 2008, Figure II.8
2. L’investissement productif baisse, les investissements financiers explosent
Le second graphique a l’intérêt de fournir des données portant sur l’économie mondiale. On constate que :
– le taux d’investissement mondial (en pourcentage du produit mondial brut). Il fluctuait autour de 25 % dans
les années 70, et fluctue autour de 22% durant les années récentes.
– les flux d’investissement à l’étranger représentaient moins de 5 % du PIB mondial jusqu’en 1980. Ils en sont
aujourd’hui à plus de 20 %.
Source : ONU, communiqué de presse, graphique 2
Note hussonet n°1, 18 septembre 2008