PÉKIN ENVOYÉ SPÉCIAL
Il y a ceux qui cèdent face aux pressions – huit à ce jour, dans sept provinces –, mais il y a surtout ceux qui rejoignent le groupe d’avocats mobilisés à travers la Chine, 120 à ce jour, pour donner conseil, bénévolement, aux parents des enfants rendus malades par le lait contaminé à la mélamine (53 000).
« Lundi 22 septembre, le bureau de la justice du Shandong a demandé aux avocats de la province de quitter notre équipe, raconte maître Li Fangping. Mercredi, un avocat du Sichuan a été l’objet de pressions. Dans le Hebei, non seulement ils ont persuadé nos avocats bénévoles de cesser toute activité, mais ils leur ont interdit de s’occuper de la moindre affaire de lait contaminé. Le gouvernement local a une participation dans Sanlu (l’entreprise laitière par qui le scandale est arrivé), c’est là aussi que la presse est la plus contrôlée », ajoute l’avocat.
Li Fangping fut l’un des premiers à recevoir un avertissement, le 19 septembre. « L’association des avocats de Pékin m’a appelé pour me dire d’avoir confiance dans le parti et dans le gouvernement », dit-il. « C’est toujours comme ça : le gouvernement ne pense qu’à la stabilité, et dès que des gens font mine de s’organiser, cela signifie pour lui qu’ils sont plus difficiles à contrôler. »
Li Fangping a l’habitude des pressions : visage émacié, débit rapide, toujours disponible, cet avocat qui nous a reçus tard le soir dans un fast-food à Pékin est le chef de file des « avocats aux pieds nus ». Il défend Hu Jia et Cheng Guangcheng, les deux plus importants militants des droits de l’homme emprisonnés.
Depuis que le scandale du lait contaminé a éclaté, le 12 septembre, les « avocats aux pieds nus » sont le seul recours contre la détresse des parents d’enfants malades. « En quelques heures, vingt d’entre nous étaient en contact. On a mis en ligne nos numéros, donné des consignes aux gens, pour qu’ils gardent des preuves. Pendant trois jours, on avait plusieurs centaines d’appels par jour. Aucune ligne d’urgence n’avait été mise en place par le gouvernement », poursuit l’avocat, qui suit une quarantaine de parents, pour la plupart dans les provinces.
PERSONNEL MÉDICAL HOSTILE
Dès le 14 septembre, le gouvernement central avait annoncé la gratuité des soins, mais rien ne s’est fait jusqu’au 17 : « Des parents en colère faisaient le siège des bureaux de la sécurité sociale », poursuit Maître Li. Beaucoup sont pauvres : « Les gens plus aisés ont accès à Internet, se passent des informations. Ceux qui viennent de la campagne étaient mal informés. On a distribué, avec huit avocats du Henan, des fascicules pour qu’ils sachent comment faire valoir leurs droits », dit Lu Jun, qui s’occupe de Beijing Yirenping, une ONG de Pékin qui lutte contre la discrimination.
Contacté par Li Fangping, Lu Jun s’est rendu très tôt à Zhengzhou (province du Henan), dans trois hôpitaux. Le personnel médical, d’abord accueillant, devient vite hostile aux militants, vraisemblablement sur instructions des autorités. Les familles sont désemparées : « Des gens de Taikang avaient emmené leur bébé de dix mois à l’hôpital avant le 12 septembre, sans savoir que ses problèmes étaient dus au lait. Ils avaient déjà payé 10 000 yuans (1 000 euros) de traitement. L’hôpital les pressait de partir, disant que le bébé était guéri. Mais ils n’avaient aucune assurance d’être remboursés », raconte Lu Jun.
Malgré les instructions officielles, à Zhengzhou, Tang Jinwang, un père de famille de 37 ans joint mercredi matin par téléphone, a constaté que « l’hôpital donnait au bébé huit bouteilles de transfusion par jour quand on payait. Maintenant que c’est gratuit, il n’y en a plus qu’une, ou deux ! » Son fils de neuf mois est hospitalisé depuis le 12 septembre. Il s’est fait rembourser quatre jours de traitement. Mais une vingtaine d’enfants, dont son fils, ont la diarrhée, et l’hôpital, qui prétend que ce n’est pas en rapport avec le lait frelaté, veut facturer un traitement à part. D’autres parents sont incités à retirer leurs enfants au prétexte que le calcul rénal de leur bébé a diminué de taille : « Ils vont dans un autre hôpital, et s’aperçoivent que c’est faux ! », s’indigne Tang Jinwang, devenu très méfiant vis-à-vis des médecins. En revanche, il a confiance, dit-il, dans le premier ministre : il l’a vu se rendre à la télévision auprès d’enfants malades, et ça le « réconforte ».
Les avocats n’ont pas encore décidé s’ils lançaient ou non une action en justice : « Les parents ne souhaitent pas forcément un procès : les résultats sont très aléatoires, et surtout, c’est très long. Ils veulent négocier », explique, à Pékin, Chuang Buo-yang, un autre avocat du groupe.
Le gouvernement, qui avait promis au départ de payer les frais médicaux, annonce désormais que c’est la firme Sanlu qui réglera la note finale. « Il faut qu’un fonds spécial de compensation soit établi. On ne peut pas attaquer en justice le gouvernement malgré sa part de responsabilité. Mais, si c’est Sanlu qui est censé payer, il faut peut-être mieux lancer une action légale », dit encore Li Fangping.
Les avocats suggèrent aux associations de consommateurs de répertorier les cas d’enfants malades et de rassembler des éléments sur les produits concernés. Ils veulent aussi que cesse le harcèlement à leur encontre : « Le gouvernement devrait encourager les avocats à offrir une aide légale gratuite aux parents et respecter les droits des consommateurs floués », recommande leur dernier bulletin diffusé en ligne.
Brice Pedroletti
* Article paru dans le Monde, édition du 26.09.08.
Les bonbons White Rabbit retirés de la vente en Chine et dans de nombreux pays
Le confiseur Bright Food Co (Guangshengyuan en chinois), qui commercialise notamment la marque White Rabbit, a annoncé, vendredi 26 septembre, la suspension en Chine des ventes de ses produits, soupçonnés d’être contaminés à la mélamine. La société avait auparavant rappelé ses produits exportés à Singapour après la découverte de traces de mélamine dans ses bonbons White Rabbit.
Le bonbon a été retiré des rayons ou fait l’objet d’un avertissement adressé aux consommateurs dans plusieurs pays ces derniers jours, de Singapour jusqu’au Pérou, en passant par l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Selon l’agence Chine Nouvelle, les bonbons White Rabbit sont exportés dans une vingtaine de pays, surtout en Asie du Sud-Est. A Londres, Tesco, le numéro un britannique de la grande distribution, avait annoncé mercredi avoir suspendu la vente de ces bonbons.
RAPPEL VOLONTAIRE
Jeudi, les autorités sanitaires du Canada ont également mis en garde la population contre la distribution et la consommation des bonbons de cette marque, avisant les importateurs et les distributeurs d’en cesser la distribution et d’amorcer un rappel volontaire, a indiqué l’Agence canadienne d’inspection des aliments dans un communiqué. Les Européens ont décidé d’interdire les importations de tous les produits alimentaires pour enfants provenant de Chine qui contiendraient du lait en poudre, comme le chocolat, les confiseries et les biscuits.
Dans un communiqué commun, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) et l’Organisation mondiale de la santé ont estimé que « toute tentative de tromper le public dans le domaine de la production alimentaire était inacceptable ». « La contamination délibérée d’aliments destinés à la consommation pour des bébés vulnérables ou de jeunes enfants est particulièrement déplorable », ont ajouté les deux organisations.
LEMONDE.FR avec AFP | 26.09.08 | 09h14 • Mis à jour le 26.09.08 | 10h08
Les produits incluant des dérivés laitiers d’origine chinoise interdits en France
Suite au scandale du lait chinois coupé à la mélamine, les produits comprenant des dérivés laitiers d’origine chinoise vont être retirés du marché en France, ont annoncé, mercredi 24 septembre, les ministères de l’agriculture et de l’économie dans un communiqué commun. « Les pouvoirs publics ont décidé à titre conservatoire d’adopter des mesures de précaution complémentaires pour tous les produits incorporant des dérivés laitiers d’origine chinoise », indiquent les deux ministères. « Ces produits devront être retirés du marché et ne pourront donc pas être commercialisés », précisent-ils.
Le dissident Cai Chongguo révèle sur son blog que les hauts fonctionnaires chinois ont mis en place depuis 2005 leur propre circuit de distribution de produits alimentaires sécurisés avec des normes de sécurité alimentaire plus élevées [Voir ci-dessous].
L’importation de produits laitiers chinois est déjà interdite dans l’Union européenne. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a procédé la semaine dernière à des contrôles pour s’assurer qu’aucun lait pour enfants d’origine chinoise n’était vendu en France. « Ces premières opérations de contrôle n’ont pas, à ce jour, mis en évidence de présence de tels produits », est-il précisé.
RÉUNION D’EXPERTS
Par ailleurs, la Commission européenne a saisi l’Autorité européenne de sécurité des aliments à propos du scandale du lait frelaté en Chine, pour examiner l’impact sur les humains de la consommation de résidus du produit incriminé. Son résultat devrait être connu « très rapidement » et une réunion d’experts des Etats membres est prévue jeudi à Bruxelles pour « envisager les décisions communautaires sur le devenir de ces produits ».
Le scandale du lait frelaté a éclaté le 11 septembre quand la principale entreprise incriminée a reconnu publiquement des problèmes avec son lait en poudre pour nourrissons. Depuis, les tests ont mis en évidence la présence de mélamine chez 22 fabricants au total. Le lait contaminé a provoqué la mort d’au moins quatre bébés, atteints de problèmes rénaux. Au total, près de 53 000 enfants ont dû être soignées dans le pays à la suite d’intoxication, dans leur grande majorité des bébés de moins de deux ans. Près de 13 000 d’entre eux restaient hospitalisés en début de semaine.
LEMONDE.FR avec AFP | 25.09.08 | 11h43 • Mis à jour le 25.09.08 | 12h39
Un réseau interne de la distribution de produits alimentaires pour les hauts fonctionnaires a été dévoilé
On se posait souvent la question suivante : les Chinois s’angoissent par le problème de sécurité alimentaire depuis des années, les autorités ont été averti le cas de lait frelaté au moins depuis le mois de juillet, pourquoi le gouvernement réagi si lentement ? Ses dirigeants ne mangent-t-ils, ne buvent-t-ils rien comme les dieux ? Enfin On a la réponse depuis quelques jours : Ils ont leur propres produits, très sûr, à consommer. Leur vie n’a rien à voir avec celle des Chinois ordinaires.
Le mois d’avril 2005, dans une grande discrétion, un nouveau réseau interne de la production et la distribution de produits alimentaires spéciaux a été créé par le conseil des affaires d‘État. Le nom de réseau est « le centre de la distribution spéciale des produits alimentaires du conseil des affaires d’État » 国务院中央国家机关食品特供中心.
Ce sont les photos de la cérémonie de remise de certificat de fournisseur officiel du « Centre de distribution spécial » à l’entreprise Ke Er (KR BIO) dans la province de Shandong. Pour faire sa publicité, cette l’entreprise avait mis ces photos sur son site, avec le texte de discours de la cérémonie du chef du Centre, Mme. Zhu Yonglan, daté le 19 août 2008. (le site est fermé depuis deux jours, mais j’avais enregistré ce page avant ).
Dans son discours, Mme Zhou a bien étalé des problèmes de sécurité alimentaire et les exigences de son Centre. Elle a déclaré aussi que son centre dispose les bases de production spéciale dans les 13 provinces…
Ce discours se circule partout sur Net en Chine et dans la diaspora chinoise avant d’être censuré depuis hier. Mme Zhou Yonglan est devenu très célèbre.
Les hauts fonctionnaires sont bien protégés par les denrées spéciales, ce secret a été dévoilé au même moment que plus cinquante miles nourrissons sont contaminé dont plus douze miles sont hospitalisés (le chiffre officiel). Les autorités morales du régime et celle de ses dirigeant s’est effondré. Le débat sur le scandale de lait frelaté est censuré sur le forum de la plupart de sites, sauf celui de Quotidien du Peuple dont Hu Jintao a connecté il y a quelques mois. On peut voir la colère, même une sorte de haine contre le régime, remplie l’espace de discussion.
23 septembre 2008
Cai Chongguo
* Paru sur : http://caichongguo.blog.lemonde.fr/