La vie politique en Turquie connaît actuellement des tensions : procès intenté envers le parti au pouvoir, révélation d’un projet de coup d’État, attentats dans des grandes villes, reprise des affrontements dans le Sud-Est, détérioration continue de la situation en Irak et crise russo-géorgienne aux frontières du pays.
Comme cela était prévisible [1], la « crise » entre la hiérarchie militaire et l’AKP (le parti au pouvoir issu de l’islam politique) s’estompe. Après le démantèlement du réseau Ergenekon – regroupant des putschistes ultrakémalistes militaires et civils –, l’enquête se poursuit mais elle ne concerne que des gradés à la retraite et certains seconds couteaux kémalistes. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une enquête dirigée contre la hiérarchie militaire actuelle. Par ailleurs, le procès d’interdiction de l’AKP pour « activités contraires à la laïcité » n’a abouti qu’à une peine financière infligée par la Cour constitutionnelle. Une analyse de classe permet de saisir les ressorts de cette prétendue crise. Il existe des tensions entre des secteurs regroupant des petits capitalistes, plus ou moins liés à l’État, et l’AKP, actuellement au pouvoir. Celui-ci mise sur une politique d’intégration accrue au capitalisme néolibéral et bénéficie, notamment, du soutien de l’essentiel du grand capital détenant les ressources financières du pays. Il s’agit donc de tensions entre capitalistes, qui sont en accord sur le fond socio-économique et dont les secteurs en opposition ne sont ni assez forts ni assez déterminés pour qu’elles débouchent sur une vraie crise politique.
Si le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) n’a pas revendiqué les attentats à la bombe d’Istanbul et d’Izmir (dans l’ouest du pays), et s’il faut prendre avec circonspection les déclarations des pouvoirs publics turcs sur la culpabilité de cette organisation, ces événements, quelles qu’en soient les origines, sont le signe d’une remontée de la violence liée à la question kurde. Dans le Kurdistan turc, les affrontements armés ont repris et ont déjà causé des morts. Cette logique de guerre civile, de moins en moins larvée dans cette zone du pays, n’est pas nouvelle, et elle s’accompagne, de manière apparemment paradoxale, d’une modération croissante du discours du parti nationaliste kurde DTP [2], dont la principale revendication porte sur la reconnaissance du peuple kurde comme élément constitutif de la nation dans une éventuelle réforme constitutionnelle.
La recrudescence de la violence dans le Kurdistan turc renvoie également à la situation en Irak et à la politique étrangère du pouvoir turc. Celle-ci s’aligne plus que jamais sur l’Otan et renforce son alliance stratégique avec l’impérialisme américain. Le gouvernement turc se félicite de la collaboration accrue des dirigeants irakiens (dont le président de la République, le kurde Jalal Talabani) dans la lutte contre le PKK. La Turquie a adopté une position progéorgienne et fait partie de la flotte de l’Otan en mer Noire, récemment renforcée par l’arrivée de plusieurs bâtiments US.
La continuité s’avère au final politique et sociale. L’année 2009 va être marquée par des élections locales, où l’AKP est donné de nouveau grand favori. L’exploitation des travailleurs se poursuit de façon extrême comme, par exemple, dans la zone industrielle de Tuzla, où se trouvent de nombreux chantiers navals. Les conditions de travail y sont telles que plus d’une centaine d’ouvriers sont morts dans des « accidents » de travail s’apparentant à des meurtres patronaux. Face à ce réel immobilisme, la reconstruction d’une gauche unitaire, pluraliste, investie dans des luttes sociales, est plus que jamais une priorité.