Envoyé spécial à Port-Leucate (Aude),
A Port-Leucate (Aude), au village vacances des Carrats, qui donne sur les bords de la Méditerranée, la mayonnaise du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) monte. Sous les figuiers agités par la brise de terre, il ne reste plus une place sur les chaises pour écouter une conférence sur les syndicats. Le village, qui peut accueillir 900 personnes, affiche complet. C’est la file d’attente à l’accueil pour trouver sa chambre ou régler la note. « Il n’y a jamais eu une université d’été de la LCR avec autant de monde. 1 300 personnes environ sont présentes. On a dû en refuser 200 à 300 », s’enthousiasme Michel Bidaux, l’attaché de presse de la LCR.
« Tatoués ». C’est la dernière université d’été de la Ligue avant qu’elle ne se dissolve dans le NPA. « Sans nostalgie, estime Jacques, 62 ans, une superbe moustache, ancien militant de la LCR. Le trotskisme n’est plus d’actualité. Il l’était face au stalinisme. Aujourd’hui, il faut inventer avec les jeunes. » Sur les 1 300 présents, 40 % militent au sein des comités NPA, sans être à la LCR. Beaucoup sont jeunes. « J’ai l’impression de ne pas être un vieux con. Je vois des jeunes, des tatoués, des basanés. Ça nous manquait. Plus il y en aura et mieux cela sera », reprend Jacques. Gaston, 17 ans, en terminale économique et sociale, digère sur la terrasse en bouquinant. Il est venu avec des copains du comité de Blois. Ses parents, « sociaux démocrates », ne comprennent pas forcément son engagement quand son discours « se radicalise » à table. Il aime l’histoire et suit les ateliers sur « le stalinisme » et « le PC ». Sans qu’on le lui demande, il tient à dire que cette université est « un succès, dommage qu’on ait dû refuser des gens ». Il y croit dur comme fer.
Ces nouveaux militants qui parlent d’un nouvel « espoir » sont étudiants, profs, éducateurs ou ouvriers agricoles. Presque tous évoquent leur « indignation » et leur sentiment d’une « urgence ». « La situation est dramatique. On veut la fin du système pourri qu’on a et vivre dans un monde meilleur », assure, tout simplement, Christine, 58 ans, prof d’EPS en Haute-Loire.
« Convergence ». Beaucoup militent ou ont milité dans des associations, des syndicats ou au sein d’autres partis. Nouria, éducatrice spécialisée de 28 ans à Nanterre (Hauts-de-Seine) mais habitant Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), affirme que « les idées de ce nouveau parti interpellent ». « Besancenot, on en parle de plus en plus. Les gens ont l’espoir en panne. Il ne faudrait pas gâcher tout ça. » Elle-même reconnaît qu’elle ne s’intéressait pas forcément à la politique. Elle est venue au NPA en militant pour le droit au logement. Gérard, 56 ans, qui travaille dans une coopérative agricole, apprécie cette « convergence des luttes ». Ancien suppléant d’une élue PCF, ex-soutien de José Bové, militant PS déçu, syndicaliste et proche d’Attac, il espère « ne pas se gourer » cette fois-ci. Il ne craint pas vraiment que la LCR noyaute le nouveau parti. De toute façon, « on sait lire les textes », remarque-t-il, impatient de voir ce que le congrès de fondation du parti - prévu pour janvier 2009 - donnera.
A les écouter, aucune ombre au tableau de Port-Leucate. Ils sentent un « frémissement » et ne masquent pas leur enthousiasme. « Il y a un renouvellement des partis politiques. Je vois un processus de rassemblement de groupes d’extrême gauche. Face à une droite de plus en plus agressive et unie, il faut qu’on arrive à riposter, au-delà de nos divergences, analyse Robin, 22 ans, étudiant en sciences politiques à Toulouse. C’est très enrichissant, sur le plan de la structuration politique, de voir des gens qui ont déjà créé un parti en recommencer un nouveau. Tout mettre à plat. Il y a des débats et on s’aperçoit que nos divergences ne sont pas forcément des contradictions. »
Gaël Cogné
« Bâtir une gauche indépendante »
Interview d’Olivier Besancenot
Quel est l’objectif du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), qui doit se substituer à la Ligue communiste révolutionnaire ?
Il est avant tout de changer d’échelle afin que nos idées, nos propositions politiques, comme par exemple l’interdiction des licenciements, l’augmentation des salaires, la reconquête des services publics, deviennent majoritaires dans trois secteurs stratégiques à nos yeux : la jeunesse, les entreprises et les quartiers populaires. Nos idées imprègnent progressivement la société et nous devons les confronter à la réalité. C’est ainsi que nous ferons preuve d’utilité en continuant à apparaître comme les opposants les plus résolus à la politique actuelle du gouvernement.
Etes-vous prêts à passer des accords de gestion, aux niveaux local ou national, avec les partis de gauche représentés au Parlement ?
Nous avons une autre conception du pouvoir politique que les partis de l’ex-gauche plurielle. Nous proposons une démocratie authentique qui fonctionne du bas vers le haut de la société, avec une population capable de contrôler ses élus, grâce notamment à la révocabilité. Il n’est donc pas question de gouverner avec le PS car nos solutions sont contradictoires avec l’économie de marché, à laquelle tous les candidats au poste de premier secrétaire du PS - et ils sont nombreux - se sont ralliés en votant leur déclaration de principe rénovée.
Vous êtes donc seuls à gauche…
Non, le NPA n’est pas la seule formation politique à gauche. Nous voulons organiser des actions communes avec les autres partis de gauche, comme nous venons de le proposer pour exiger le retrait des soldats français d’Afghanistan. Nous devons résister ensemble face à la droite. Mais pour l’alternative politique, nous voulons construire une gauche indépendante, qui ne s’excuse pas d’être de gauche, d’être anticapitaliste et de vouloir changer la société.
Recueilli par PASCAL VIROT.
Le PS face au défi des autres gauches
Lancement du Nouveau parti anticapitaliste, coalition Verts-Bové-Hulot... A côté d’un PS divisé, d’autres gauches s’organisent.
Aux marges du PS, l’heure est à l’optimisme. Des socialistes qui vont se regarder le nombril jusqu’à leur congrès ; une économie qui prend l’eau ; des Français de plus en plus sensibles au développement durable… Autant de données qui font le miel d’Olivier Besancenot et du pôle écologiste en voie de constitution pour les élections européennes de juin 2009.
Cette nouvelle donne à gauche risque fort de gêner le PS. Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), qui va se substituer à la LCR, entend bien se monter indépendant et refuser tout accord de gestion avec des socialistes « social-libéralisés ». Les écologistes, dont le spectre s’étale de l’antilibéral noniste José Bové à l’europhile Daniel Cohn-Bendit en passant par les Verts, les amis de Nicolas Hulot et de nombreux associatifs, pourraient, eux, tailler des croupières au PS, puisque chassant peu ou prou sur les mêmes terres électorales.
Les « sans ». Avec plus de 4% des voix à la présidentielle (et 1,5 million de voix), Olivier Besancenot occupe le vide laissé sur l’échiquier politique par les partis de l’ex-gauche plurielle. Le facteur trotskiste a su capter toutes les impatiences : les nouveaux militants du NPA « ont des attentes extrêmement fortes d’efficacité immédiate », expliquait dans le Monde ce week-end, la chercheuse du Cevipof, Florence Johsua. « Nous, promet Besancenot, nous n’attendrons pas 2012 pour résister, pour combattre et chercher à stopper la politique de Nicolas Sarkozy. »
La LCR (contrairement à LO) a su investir de nouveaux combats (comme la défense des « sans », papiers, logement, droits, etc.). Et le NPA est appelé à élargir ce socle : « Le saut n’est pas seulement numérique mais qualitatif : les participants [à l’université d’été de la LCR-NPA, ndlr] viennent d’une autre culture, pour beaucoup ce sont des jeunes des banlieues », explique Alain Krivine, l’autre porte-parole de la LCR.
Sur un autre créneau, le NPA entend aussi faire pièce aux partis de la gauche institutionnelle : celui de la riposte au gouvernement. « Nous creusons le même sillon : continuer à paraître comme les opposants les plus efficaces à la politique de Nicolas Sarkozy et du Medef », revendique Olivier Besancenot. Une attitude qui n’empêche pas de tendre la main à la gauche pour exiger, par exemple, le retrait des troupes françaises d’Afghanistan. Une « réunion unitaire » est prévue dans les prochains jours.
Si la dynamique de rassemblement des écologistes lancée ce week-end à Toulouse prend, voire permet aux Verts de se dépasser en un « nouveau parti écologique », elle donnera du fil à retordre à Sarkozy comme au PS. Le paradigme écolo remet en cause « le logiciel traditionnel de la croissance avec plus ou moins de redistribution des richesses selon qu’on est de droite ou de gauche », explique un « nouvel écologiste ».
Flèches. Dans une vidéo envoyée à Toulouse, Nicolas Hulot a lui estimé que « le temps est à la régulation ». Dans un extrait non diffusé, il a lancé : « Je ne suis plus dans le rôle du Pacte écologique. Tout ça c’est révolu. » Le voilà donc qui sort les flèches et dénonce aussi un « ministre français [Bernard Kouchner, ndlr] à moitié convaincu » de l’urgence écologiste. Ironie du sort : c’est le Grenelle de l’environnement qui a permis aux écologistes politiques, associatifs et altermondialistes de nouer des liens en formulant des propositions. Aujourd’hui, c’est la critique de sa mise en œuvre qui sert de moteur à ce rassemblement.
Et quid côté PS ? Pour l’heure, les Verts continuent de participer au comité de liaison de la gauche et un séminaire d’une journée est prévu. « Hollande croit qu’on va surtout mordre sur le Modem. Mais un duel Harlem Désir face à Dany pendant les européennes ça leur fout les chocottes », sourit un député Vert.
M.E. ET P.V.
« S’opposer et construire en même temps »
Interview de Daniel Cohn-Bendit
Le rassemblement des écologistes lancé à Toulouse peut-il constituer une nouvelle opposition à Nicolas Sarkozy ?
Notre positionnement pour une Europe écologique et solidaire se distancie de la politique européenne de Sarkozy, mais aussi de celle de la gauche. Nous avons une vision plus complexe de l’Europe que les partis traditionnels. C’est donc plus une différenciation qu’une opposition à Sarkozy, mais aussi à Bayrou et aux socialistes. Même si cela n’exclut pas des convergences avec la gauche et le centre. La droite et la gauche traditionnelles ne sont qu’à moitié convaincues de l’urgence à répondre aux défis du climat, de la solidarité et de la démocratie. On s’oppose et on construit en même temps. José Bové a d’ailleurs cité Gandhi et la « beauté du compromis ». Nicolas Hulot, lui, semble revenu de l’unanimisme du Défi écologique.
Votre objectif est donc d’interpeller les forces politiques traditionnelles ?
Tout le monde sera interpellé, y compris l’extrême gauche, car l’alternative anticapitaliste a été jusqu’ici aussi destructrice que le capitalisme. Nous posons un nouveau paradigme : nous sommes contre le libéralisme de droite et de gauche, mais aussi contre l’étatisme de droite et de gauche. Nous nous opposons radicalement au gouvernement qui dit « travaillez plus pour gagner plus ». Nous disons « travaillez et vivez autrement pour vivre mieux ».
Votre rassemblement préfigure-t-il d’un Nouveau Parti écologique (NPE) ?
Il ne s’agit pas d’instrumentaliser les européennes de 2009 pour construire un parti mais de construire un outil efficace à Bruxelles. Ensuite, localement, les uns et les autres devront tirer les leçons de cette pratique. Si ce rassemblement marche, si l’on passe le goulot d’étranglement de la constitution des listes, on aura une écologie en mouvement qui correspond à une attente de la société française.
Le PS pris dans ses grandes manœuvres
Les stratégies des leaders en vue du prochain congrès empêchent le PS de se faire entendre.
Une rentrée socialiste placée sous le signe de la concurrence tous azimuts. A la compétition interne exacerbée par l’approche du congrès de Reims, en novembre, s’ajoute désormais, pour le PS, la pression externe. Pression qui, ces derniers jours, s’est accentuée, entre le rassemblement de la « galaxie écologiste », initié lors des journées d’été des Verts, et les avancées d’Olivier Besancenot sur la voie de son Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Directeur de cabinet de François Hollande, Stéphane Le Foll ne s’y est pas trompé, qui a une nouvelle fois tenté, hier, de circonscrire ces dernières au seul terrain de la protestation : « On constate qu’on a changé de nom, mais pas de stratégie ; celle qui consiste toujours à mettre du monde dans la rue et à promettre, selon Olivier Besancenot, une bonne vieille révolution. Notre stratégie vise au contraire à proposer une alternative pour exercer le pouvoir. »
« Symptomatique ». Les socialistes, pourtant, ne peuvent l’ignorer : « Les autres partis de gauche se nourrissent de nos faiblesses », résume Benoît Hamon. Alors que le PS, qui n’a guère réussi à faire entendre sa voix depuis l’élection de l’omniprésident, offre plus que jamais le visage d’un syndicat d’écuries rivales, le député européen juge la situation « symptomatique ». « Les Verts, Dany [Cohn-Bendit] en tête, proposent une liste allant de Bové à Hulot, un vrai rassemblement politique dépassant les clivages, alors que nous en sommes encore à préserver boutiques et prés carrés. Quant à Besancenot, par la manière dont il arrive à incarner concrètement l’opposition à Nicolas Sarkozy en parlant hôpitaux, services publics et conditions de travail, il crée un débouché politique au mécontentement des gens. »
Calendrier oblige, ces absences socialistes ne devraient pas, du moins à court terme, se résorber. « On est conscient que, d’ici la mi-novembre, les grandes manœuvres vont nous occuper, estime le député européen Henri Weber, proche de Laurent Fabius. Et qu’on ne sera toujours pas audible. Sur la question du pouvoir d’achat ou de la croissance, nos propositions glissent comme sur les ailes d’un canard… »
« Lard ». L’offensive des Verts et d’Olivier Besancenot présente tout de même un mérite : souligner, en creux, le déficit d’unité et de combativité du PS. Et fournit du coup des pistes pour la suite des opérations.
Candidat à la succession de François Hollande, le député Pierre Moscovici brosse ainsi le profil idéal du futur patron du parti : « Nous avons besoin d’un premier secrétaire qui se coltine le sale boulot, qui mette le parti au travail et fasse de l’opposition tranchante, entre dans le lard, soit sans arrêt sur le créneau, et qui ne cherche pas à se ciseler une image pour la présidentielle. Il nous faut aussi une équipe de direction organisée en contre-gouvernement, et non plusieurs voix qui s’expriment dans le désordre. » D’autant que, comme le résume Henri Weber, le prochain premier secrétaire devra aussi « faire face à la montée en puissance des Verts et de l’extrême gauche. »
DAVID REVAULT D’ALLONNES