Au lendemain de la démission, lundi 18 août, du président du Pakistan, Pervez Musharraf, les pays occidentaux et son puissant voisin, l’Inde, ont pour la plupart évoqué une « affaire interne » pakistanaise. Pour autant, l’avenir de M. Musharraf et celui de son pays, puissance nucléaire rivale de l’Inde voisine, allié des Etats-Unis dans la guerre contre les talibans, sont au cœur de l’attention internationale.
Les experts s’accordaient, mardi, pour dire que le départ du président, qui disposait des moyens constitutionnels et sans doute de l’envie d’engager un bras de fer avec ses opposants politiques, était lié à la question de la sécurité régionale.
Si la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, a tenu à exprimer sa « profonde gratitude » pour cet « ami des Etats-Unis », et si le président George Bush a « salué les efforts » du chef de l’Etat pakistanais dans « la démocratisation » de son pays et dans « la lutte contre Al-Qaida », M. Musharraf devrait sa chute à la fin du soutien des Américains.
Sa présence serait devenue davantage un frein qu’une garantie pour lutter contre l’extrémisme islamiste, priorité américaine, selon Zia Mian, un politologue pakistanais à l’université de Princeton. Devant la dégradation de la situation sécuritaire à la frontière afghane et dans les zones tribales du Nord-Ouest, M. Musharraf n’était plus perçu comme un « capital » à Washington, ajoute Marvin Weinbaum, analyste au Middle East Institute et qui fut chargé du dossier Pakistan-Afghanistan au département d’Etat.
Les dix-huit mois de crise politique intérieure qui viennent de s’écouler auraient, selon les Etats-Unis mais aussi d’après la Grande-Bretagne, détourné les autorités de la lutte contre le terrorisme. L’unité du pays était, de plus, menacée par une situation économique et sociale préoccupante. Enfin, le vote, le 11 août, par l’assemblée provinciale du Penjab, (51 % de la population), d’une résolution affirmant que M. Musharraf était « inapte à occuper ses fonctions », aurait convaincu l’ambassadeur américain à Islamabad qu’il était temps de tourner la page.
La distanciation de Washington avec M. Musharraf s’est, pour beaucoup, très fortement raffermie après l’attentat-suicide perpétré, le 7 juillet, à Kaboul, contre l’ambassade de l’Inde, qui avait fait 58 morts. L’amiral Mike Mullen, chef de l’état-major interarmes américain, et le numéro deux de la CIA, Stephen Kappes, avaient alors fourni au premier ministre pakistanais, Yousef Reza Gilani, opposant politique de M. Musharraf, des éléments montrant l’implication des services secrets militaires (ISI).
Soit le général Musharraf avait été prévenu de cette opération, et il l’avait donc couverte, suscitant la fureur des Américains, soit « pire », selon une source, il ne l’avait pas été, et « son utilité, sa capacité à maîtriser la situation » était gravement affectée à leurs yeux.
Trois semaines plus tard, M. Gilani était reçu par M. Bush. C’est à ce moment-là que, selon M. Mian, un « deal » a pu être conclu : Washington acceptait qu’une solution à la crise intérieure pakistanaise passe par le départ de son général-président et, en contrepartie, le gouvernement pakistanais s’engageait à développer une coopération militaire plus étroite avec les Etats-Unis dans les zones tribales. Lundi, la Maison Blanche s’est dite « confiante, le gouvernement du Pakistan poursuivra l’effort » engagé dans la lutte contre le terrorisme. Pour l’Inde, la démission de M. Musharraf intervient alors que les relations entre les deux pays n’ont jamais été aussi tendues depuis le lancement du processus de paix en 2003. L’Inde a également accusé l’ISI d’avoir perpétré l’attentat à l’ambassade de l’Inde à Kaboul. Lorsque M. Musharraf avait évoqué une intervention de l’ONU pour apaiser la situation dans le Cachemire indien, l’Inde avait aussitôt réagi en dénonçant une ingérence dans ses affaires intérieures.
Pourtant, le dirigeant pakistanais était celui qui avait engagé le plus long processus de paix avec le pays. De plus, le conseiller indien à la sécurité intérieure, NK. Narayanan, avait déclaré au quotidien singapourien New Straits Times, le 12 août, que le départ de M. Musharraf risquait de créer « un grand vide » dans la politique pakistanaise « parce qu’il laisse toute la liberté aux bandes d’extrémistes radicaux de faire ce qu’ils veulent, pas seulement à la frontière avec l’Afghanistan, mais aussi avec la nôtre ».
Le gouvernement de Kaboul, qui a vivement dénoncé, ces derniers mois, les liens entre l’armée pakistanaise et les talibans, a salué, dans le départ de M. Musharraf, l’avancée du pouvoir civil au Pakistan, qui pourra ainsi « renforcer sa démocratie et son gouvernement ».