Rebonds : Deux réponses de Siné à « Libération »
Droit de réponse de Maurice Sinet, dit Siné, à l’article de Laurent Joffrin publié dans la rubrique « Rebonds » du journal Libération, en date du 25 juillet 2008, titré « Charlie Hebdo : sanctionner l’antisémitisme », ainsi que sur notre site.
Monsieur,
Votre amitié pour Philippe Val vous a égaré au point de m’insulter gravement dans les colonnes de votre journal du 25 juillet, en me traitant à plusieurs reprises d’antisémite et de raciste. Vous insultez par la même occasion toute la communauté juive en l’assimilant à une race ! Vous allez jusqu’à associer mon nom à Drumont, Maurras et Brasillach… Bigre ! Pourquoi pas à Hitler, Pol Pot et Saddam Hussein pendant que vous y êtes ?
Je suis désolé de vous décevoir, mais je ne suis l’auteur ni de Mein kampf ni des Protocoles des sages de Sion. Je ne suis, depuis plus de soixante ans, qu’un anti-imbécile primaire (euphémisme destiné à parer à tout refus de publication éventuel).
Siné
(« Polémiste lourdingue » aux « éructations de folliculaire » et « cacochyme de l’extrême gauche antisioniste ».)
Nota bene. Vous n’êtes pas sans savoir que je poursuis en justice, pour diffamation, Claude Askolovitch, qui, pourtant, en a dit beaucoup moins que vous.
Droit de réponse de Maurice Sinet, dit Siné, à l’article de Laurent Joffrin publié dans la rubrique « Rebonds » du journal Libération,en date du 28 juillet 2008, titré « Siné, suite… », ainsi que sur notre site.
Monsieur,
Vous parlez de la violence haineuse des pétitionnaires envers Philippe Val, mais la vôtre, à mon égard, ne l’est assurément pas moins. Si vous n’entendez que le son de cloche de Val, qui me déteste, cela n’est guère étonnant : « Il est convenu dans un premier temps, avant de se rétracter, d’un texte correctif », écrivez-vous dans votre article. Val vous a-t-il dit qu’il s’agissait d’une lettre apocryphe qui avait été rédigée par ses soins ? Je n’avais accepté de la signer, de mauvaise grâce, après quelques corrections, que pour clore cette fâcheuse polémique. Si je me suis rétracté, c’est parce que j’ai appris in extremis qu’un communiqué de la rédaction, soi-disant unanime et condamnant mes propos, allait être publié simultanément dans Charlie Hebdo. J’ai estimé cela pour le moins malhonnête.
« Son soutien récent à l’humoriste Dieudonné […] » : je ne sais pas où vous êtes allé pêcher cette info malodorante ? Je n’ai jamais soutenu ce personnage et j’éprouve pour lui une vive antipathie !
Finalement, il n’y a d’exact que mes propos (bien que je croie que la loi vous interdise de les citer) que vous rapportez, bien sûr sortis de leur contexte (l’émission sur Carbone 14 avait eu lieu un dimanche à partir de minuit et avait duré trois heures !).
J’avais, il y a vingt-trois ans de cela, présenté mes excuses, sincères celles-là et pas apocryphes. Maître Bernard Jouanneau, avocat de la Licra, écrivait en retour : « Lisez, apprenez-la par cœur, récitez-la à vos enfants. Vous avez là un morceau d’anthologie, une page du cœur. […] A la prochaine audience, je pourrai serrer la main de Siné. » Comme la Licra refusa de publier sa lettre dans son périodique, l’avocat démissionna de ses fonctions pour protester !
Siné
* Paru dans le quotidien Libération du jeudi 31 juillet 2008.
Rebonds : Siné, suite…
LAURENT JOFFRIN directeur de Libération.
Le « rebond » publié sous ma plume vendredi (« Charlie Hebdo : sanctionner l’antisémitisme ») a suscité quelque émotion, notamment sur les forums du site Liberation.fr. Bien entendu, nous donnerons la parole dans le journal à ceux qui pensent autrement. Quelques précisions, en attendant. Outre l’emploi dans mon texte d’un mot inapproprié (1), la question principale est factuelle.
Les défenseurs de Siné clament que son texte n’a rien d’antisémite. Je tiens qu’il l’est : tout est là, l’association du juif, de l’argent et du pouvoir dans une phrase qui stigmatise l’arrivisme d’un individu (il s’allie à une juive riche pour parvenir) fait partie des clichés les plus classiques de cette littérature. Voilà mon raisonnement. Il existe de nombreux livres sur la question, les pétitionnaires peuvent s’y reporter avec profit.
A partir de là, Philippe Val (directeur de Charlie Hebdo), attaqué depuis avec une violence haineuse qui en dit long sur la mentalité de ses adversaires (il a même été caricaturé en nazi dans l’Express !) a jugé qu’il fallait dissiper le malentendu créé par cette publication. Il a eu raison. Siné l’a d’ailleurs bien senti, puisqu’il est convenu dans un premier temps, avant de se rétracter, d’un texte correctif. Il est vrai qu’il a déjà été traduit en justice en raison de propos plus anciens et que son soutien récent à l’humoriste Dieudonné ne plaide pas en sa faveur.
Quels propos ? En voici un extrait : « Je suis antisémite et je n’ai plus peur de l’avouer. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs. Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est propalestinien. Qu’ils meurent. »
A l’époque Siné avait affirmé qu’il était ivre et s’était excusé auprès de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme). Pourquoi ne s’est-il pas excusé cette fois-ci ?
(1) L’apparition du mot « race » dans un texte antiraciste n’est pas heureuse. Ainsi, comme la chose a été corrigée immédiatement sur le Net, il faut lire dans l’article de vendredi : « On peut choisir sa religion mais pas son origine. »
* Paru dans le quotidien Libération du lundi 28 juillet 2008.
Rebonds : « Charlie Hebdo » : sanctionner l’antisémitisme
Laurent Joffrin
Directeur de Charlie Hebdo, Philippe Val ne pouvait laisser passer sans réagir des écrits antisémites dans son propre journal. Tel est le fond de l’affaire qui agite depuis quelques jours les bataillons quelque peu cacochymes de l’extrême gauche « antisioniste ».
On dit que les écrits de Siné ne sont pas antisémites ? Quelle blague ! Le polémiste lourdingue associe dans la même phrase le juif, l’argent et le pouvoir, en expliquant que l’alliance avec le premier vous donnera les deux autres… Si ce cliché n’est pas antisémite, alors les écrits de Drumont, de Maurras, et de Brasillach, ne le sont pas non plus.
Charlie Hebdo est un journal libre, sympathique, notoirement connu pour ses prises de position antiracistes. Comment aurait-il pu se taire après avoir imprimé quelques insanités qui réveillent la vieille et funeste tradition de l’antisémitisme de gauche ? On connaît tout de même la chanson : « Les juifs, c’est l’argent, l’argent c’est le capitalisme, nous sommes contre le capitalisme attaquons les juifs ! » Voir Proudhon, Guesde, Déat… Voir les débats à gauche au début de l’affaire Dreyfus (« On ne va pas défendre un bourgeois ! »)
S’agit-il d’un malentendu ? Dans ce cas, Siné pouvait le lever dès l’origine en corrigeant ses propos. S’il ne l’a pas fait c’est qu’il n’y a pas malentendu. Siné pense ce qu’il écrit, il le maintient. C’est son refus de tout correctif qui a créé l’affaire.
Publier, c’est choisir. Choisir de ne rien dire après avoir publié Siné, c’est choisir l’antisémitisme. On n’attend pas d’un journal qu’il soit le simple réceptacle des éructations plus ou moins bienvenues de tel ou tel folliculaire. On attend de lui qu’il respecte ses valeurs et ses lecteurs.
On dira que Charlie s’est mobilisé contre l’islamisme et que le journal ne peut, en conséquence, censurer des attaques symétriques contre les juifs. C’est introduire la confusion dans les esprits : attaquer une religion n’est pas attaquer une communauté. Réprouver l’intégrisme musulman et dénoncer le pouvoir supposé des juifs ce n’est pas la même chose. On est anti-intégriste dans le premier cas, raciste dans le second.
On choisit sa religion, on ne choisit pas son origine [dans le texte imprimé, le mot était « race » – voir la note de la rédaction ci-dessous]. L’islamisme est une religion devenue idéologie politique, soumise comme toutes les autres au feu de la critique et de la satire. Le fait d’être juif n’est pas un choix : attaquer les juifs en tant que juifs, comme le fait Siné, c’est la définition même du racisme.
On est un peu accablé d’avoir à rappeler ces principes élémentaires. C’est simplement parce que les pétitionnaires anti-Charlie les oublient.
Note de la rédaction :
Plusieurs lecteurs ont été choqués par l’emploi du mot « race » dans le texte. Ce mot est mal choisi. Communauté ou origine sont plus justes. Ces termes sont utilisés dans la version du texte en ligne sur notre site. LJ
* Paru dans le quotidien Libération du vendredi 25 juillet 2008.