En 2000, le budget militaire des Etats-Unis représente 37%, et ceux des pays de l’Otan 63% des dépenses mondiales qui s’élevaient, selon le Sipri [1], à 800 milliards de dollars. Bill Clinton avait décidéune augmentation du budget militaire de 110 milliards de dollarssur cinq ans (1999-2003). George W. Bush, ayant décidéde déployer un système de défense antimissiles,compte faire fructifier cet héritage.
Le nouveau cycle de militarisation dont le moteur essentiel sont les Etats-Unis doit être replacé dans le contexte géopolitique (disparition de l’Urss) et économique des années quatre-vingt-dix. Les Etats-Unis doivent maintenir des « effets de seuil » avec leurs ennemis, mais également avec leurs alliés, grâce à une course au développement des technologies militaires et des systèmes d’armes qu’eux seuls peuvent mener. Ensuite, le système militaro-industriel américain a connu de profondes transformations depuis dix ans. Le capital financier (en particulier les fonds de pension, les fonds mutuels) a pris une part active dans la reconfiguration de l’industrie d’armement. Les grands groupes contractants du Pentagone qui ont émergé ont pour objectif prioritaire la création de « valeur pour leurs actionnaires ». Dans la production d’armes, ceci signifie d’une part, comme dans les autres industries, réduire les coûts salariaux, d’autre part obtenir du « client » – le départementde la Défense – qu’il augmente ses commandes, et de l’administration qu’elle soutienne plus activement encore les ventes d’armes. Enfin, la « domination informationnelle » passe par la suprématie spatiale, elle requiert l’implication massive du département de la Défense dans les technologies de l’information, fournissant une image moins connue des relations militaire-civil au sein de la prétendue « nouvelle économie ».
L’alliance du capital financier et de l’armement n’est certes pas nouvelle, elle fut un ferment actif de l’expansion impérialiste de la fin du XIXe siècle et de la barbarie de deux guerres mondiales. Elle est aujourd’hui porteuse d’agressions massives contre les peuples, dont on a pu mesurer l’ampleur dans la décennie quatre-vingt-dix.
La période dite de « guerre froide » fut surtout marquée par un contrôle du monde par les Etats-Unis et l’Urss. Aujourd’hui, pour les dirigeants américains, il est impérieux de s’armer pour faire face aux menaces contre leur sécurité nationale. Il est clair que ce sont la Chine et la Russie qui sont visées par les programmes militaires américains. Mais ces deux pays ne sont pas les seules menaces perçues par Washington. La défense de la globalisation figure parmi les « intérêts vitaux » des Etats-Unis, ceux pour la défense desquels les armées américaines devraient prioritairement intervenir. Il s’agit de protéger le bon fonctionnementdes « systèmes globaux » (ressources, énergie, finance, technologies, données et connaissances). En somme, généraliser, y compris à la protection desmarchés financiers, le droit à l’intervention militaire que les Etats-Unis ont toujours pratiqué lorsqu’ils considéraient que leurs intérêts pétroliers étaienten cause. A la fin du XIXe siècle, la conquête impérialistese fit au nom de la civilisation. Aujourd’hui, c’est au nom de la « démocratie de marché ».
Les dirigeants des pays de l’Union européenne, et en particulier les Français et Britanniques, sont d’accord pour prendre la tête de la défense militaire de l’ordre mondial dans les régions où les Etats-Unis ne souhaitent pas intervenir directement. La soumission du système de défense européenne à l’Otan repose sur l’adhésion aux mêmes « valeurs » (étendre la domination du capital), elle s’accompagne d’une intégration transatlantique croissante sur le plan économique. Elle ne supprime pas pour autant les rivalités interimpérialistes, qui sont d’autant plus aiguisées par le caractère dépressif de l’évolution économique des trois dernières décennies.
Les experts américains observent ce qu’ils appellent le « caractère inégal et incomplet du processusde globalisation ». Parmi les principaux dangers qui en résultent, on trouve la constitution d’immenses mégapoles. Celles-ciconcentrent des millions d’individus, des « classes dangereuses » mais qui ne sont pas pour autant, comme au XIXe siècle, des classes « laborieuses », puisqu’ils sont privés de toute perspective de travail. L’Alena et peut-être bientôt la Zone de libre-échange des Amériques mettent ce « processus inégal et incomplet » et son cortège de menaces à la porte des Etats-Unis. Le Pentagone a pris conscience des nouveaux terrains d’affrontement que peuvent constituer les villes. Les crédits du Pentagone financent donc les recherches et le développement d’armes adaptées à ces combats. Elles incluent des missiles miniaturisés à fibre optique, des drones (petits avions sans pilotes) utilisés par l’Otan contre la Serbie, des robots de petite taille, mais également des armes dites non létales.
Celles-ci pourraient en effet non seulement être utilisées dans les opérations extérieures des pays de la périphérie, mais également dans les pays développés eux-mêmes. Car le chômage et la pauvreté, l’absence d’espoir de travail un tant soit peu durable pour des millions de jeunesne sont pas (plus) des phénomènes propres aux pays en voie de développement. Ces fléaux, qui se conjuguent avec le démantèlement des institutions de protection sociale, créent des processus d’exclusion et de marginalisation. Le développement de la privatisation de la sécurité dans les pays riches indique que les pays en voie de développement n’ont pas l’apanage des « classes dangereuses ». C’est également pour faire éventuellement face à cette variété nouvelle de menaces que les programmes d’armes dites non létales sont développés.