De notre correspondant à Tokyo,
Après le coup de folie meurtrier, le 8 juin à Tokyo, d’un Japonais de 25 ans qui a poignardé à mort sept personnes dans la rue et en a blessé dix autres, les exécutions capitales au Japon ont repris mécaniquement. Depuis bientôt un an, le Japon tire frénétiquement sur la corde tous les deux mois. Dans sept maisons de détention pleines à craquer, abritant près d’un millier de condamnés à perpétuité, les couloirs de la mort nippons ne connaissent pas de trêve.
« Contre-courant ».La semaine passée, trois Japonais ont été pendus. Ce chiffre porte à treize le nombre d’exécutions depuis la prise de fonction, en août, de l’austère Kunio Hatoyama, 60 ans, ministre de la Justice de l’impopulaire gouvernement Fukuda (23 % d’opinions favorables). Le Japon avait exécuté neuf criminels en 2007. Le 17 juin, Yoshio Yamazaki, 73 ans, condamné à mort pour deux meurtres crapuleux commis en 1985 et 1990, a été pendu à Osaka. Deux autres condamnés, Shinji Mutsuda, 37 ans, qui avait tué avec son frère deux hommes en 1995 avant de jeter leurs corps à la mer, et le tueur en série Tsutomu Miyazaki, 45 ans, meurtrier déséquilibré de quatre fillettes de 4 à 7 ans en 1988 et 1989, ont été pendus à la maison de détention de Tokyo.
Dans un pays encore majoritairement antiabolitionniste - où, comme au temps des samouraïs, le crime mérite vengeance -, la nouvelle a été largement diffusée dans les médias. Mais elle a aussi provoqué un tollé au Japon et à l’étranger. « Malgré une tendance globale vers l’abolition de la peine de mort, le Japon va à contre-courant en multipliant les exécutions », a réagi Amnesty International à Tokyo, qui presse, une fois de plus, le Japon de mettre fin au plus vite à son « usage cynique et arbitraire de la peine de mort ». Les pendaisons se tiennent en effet dans le secret. Les condamnés à mort sont confinés dans des cellules minuscules truffées de caméras. La date et l’heure de leur exécution sont dévoilées au dernier moment - les familles, elles, sont mises au courant après la sentence.
Avant leur peine, les condamnés n’ont pas le droit, des années durant, de communiquer avec l’extérieur. Les visites et les correspondances leur ont été interdites. « Dans notre pays, juge Yuichi Kaido, avocat abolitionniste, la peine de mort est une pratique indigne. Le système tolère tous les abus. Un crime fait suite à un autre crime, alors que la perpétuité est une sanction très sévère qui peut soulager de la même façon les proches des victimes. »
De son côté, comme d’autres parlementaires français et européens, Jack Lang s’insurge lui aussi contre ce qu’il nomme une « interprétation de la loi indigne d’un grand pays, de surcroît dit démocratique, comme le Japon ». Sa lettre envoyée aux autorités japonaises sur le sujet est restée à ce jour sans réponse. Les organisations non gouvernementales ne sont pas les seules préoccupées par le rythme des exécutions. Plusieurs commissions de l’ONU - où le Japon prétend à un rôle plus important - ont fait part de leur « inquiétude » et prient Tokyo d’« adopter un moratoire sur les exécutions, en accord avec la résolution [onusienne] 62/149 ».
D’ailleurs, de tels moratoires ont déjà existé dans le pays. Le dernier remonte à 2006, quand l’ancien ministre de la Justice, l’avocat Seiken Sugiura, avait ordonné une pause de quinze mois. Le recours au châtiment était contraire à ses « préceptes bouddhistes ». Jadis, c’est sous l’influence du même bouddhisme (importé de Chine au VIe siècle), que l’Empereur Shômu avait aboli la peine capitale au début du VIIIe siècle. Elle avait été réintroduite trois cent cinquante ans plus tard. Pour devenir, à l’ère Edo, « l’éclat des supplices », par crucifixion, décapitation ou immersion dans de l’eau bouillante.
« Corde ». Jusqu’à aujourd’hui, les échafauds nippons cultivent le sens du supplice. Avec toutefois le risque de l’erreur. Condamné à mort en 1950 pour un double meurtre qu’il n’avait pas commis, Sakae Menda, 83 ans, a passé plus de trente ans derrière les barreaux. Rejugé en 1979, il a été acquitté en 1983. Innocenté et libéré en 1995, un autre ancien condamné à mort, Kazuo Ishikawa, a passé trente et un ans en prison. Il n’est pas certain que l’actif ministre de la Justice japonais, Kunio Hatoyama, entende les appels des partisans de la perpétuité. Hatoyama compte ordonner d’autres peines de mort, si possible, propose-t-il, « sans contresigner les arrêts de mort », procédure il est vrai gênante. En 2007, vingt-trois nouvelles condamnations à mort ont été décrétées au Japon. Et cent deux condamnés attendent de finir la corde au cou, vieux pilier du système pénal japonais.