Certains ont le regard méfiant des mauvais jours, d’autres s’installent bruyamment dans la classe avec des rires fanfarons. « Aujourd’hui, comme vous le savez, nous allons parler d’homosexualité », annonce Alice Guéna, la présidente du Mouvement d’affirmation des jeunes gais, lesbiennes, bi et trans (MAG). Les élèves étouffent quelques rires embarrassés. « Pourquoi ris-tu, David ? », demande la professeure de français et d’histoire de la classe, Malika Awad. « J’avais jamais vu un homosexuel, c’est pour ça que je ris. C’est bizarre, la première fois. »
Alice Guéna, qui tente de « sensibiliser les jeunes au respect de la diversité », intervient ce jour-là dans une classe de BEP mécanique moto du lycée Jacques-Brel de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne). Reconstruit en 2005, ce grand paquebot de métal accueille 450 adolescents qui préparent leur BEP, leur CAP ou leur bac professionnel dans les métiers du bois, de l’électronique ou de la mécanique moto. « J’ai fait venir cette association, car je m’étais aperçue, lors d’une intervention sur les discriminations, au début de l’année scolaire, que l’homophobie était un préjugé partagé par l’ensemble des élèves », explique Malika Awad.
Ce jour-là, ils sont une petite vingtaine, tous des garçons. Les cahiers et les stylos sont restés dans les sacs, les casques de moto sont alignés au pied des bureaux. Après la diffusion d’un film réunissant les témoignages de jeunes homosexuels, le dialogue s’engage. Au fond de la salle, Laurent reste silencieux mais son hostilité est perceptible. « J’ai une haine, finit-il par dire. Les homosexuels, ça me dégoûte un peu de penser qu’ils... qu’ils s’accouplent. Deux hommes en même temps, ça va pas ensemble. » « C’est bizarre, c’est un peu contre nature, renchérit son voisin. Ils peuvent pas faire des enfants. »
Alice Guéna se garde bien de les interrompre : elle les encourage, au contraire, à parler « sans tabou ». « N’hésitez pas à dire ce que vous pensez sur la sexualité ou sur autre chose, insiste la présidente du MAG. C’est un échange, on est là pour ça. » Jamais elle ne proteste contre les mauvaises blagues et les embardées homophobes des adolescents : elle se contente de les écouter et d’interroger sans relâche leurs préjugés. « Tu dis que tu n’as jamais vu d’homosexuels, répond-elle à David. En es-tu sûr ? A ton avis, à quoi reconnaît-on un homosexuel ? »
Pour ces jeunes lycéens, l’homosexualité a le visage des stéréotypes : les garçons sont efféminés, ils sont les meilleurs amis des filles, ils ont de l’esprit - ils font des « astuces », résume Nicolas avec un soupçon d’amertume. « Un garçon qui se maquille ou qui s’habille un peu comme une fille, je le classe homo direct », affirme Abdel. « Ils font des gestes comme des filles, lalala », pouffe son voisin. « Tout ça, c’est des préjugés, intervient cependant Steve. C’est comme quand on dit que les Portos sont des maçons ou les Arabes des voleurs. C’est pas toujours vrai. »
Certains garçons approuvent de la tête, d’autres restent obstinément silencieux. Au dernier rang, deux élèves tentent d’expliquer à leur façon le cheminement qui mène à l’homosexualité. « Les gens qui sont homos, ils ont sûrement eu des problèmes psychologiques, affirme Nicolas. Ou alors ils ont eu des problèmes avec les filles, et ils se sont tournés vers les garçons. Mais c’est vraiment n’importe quoi : si on a des problèmes, il y a des prostituées, quand même. » « Ceux qui le sont à la naissance, c’est pas de leur faute, ajoute son voisin. Mais les autres, c’est pas pareil. »
Alice Guéna écoute, marque une pause. « Vous croyez qu’ils l’ont tous choisi ? Vous avez vu le film, tout à l’heure, avec les témoignages de jeunes : ils disent que l’homosexualité s’est imposée à eux. » Les adolescents réfléchissent, hésitent, font silence quelques instants. Ils n’ont qu’une certitude : ils ne pourraient pas accepter l’homosexualité d’un ami. « Ici, c’est direct déchiré, on le taille, lance David. Si j’en vois un, je me détourne. » « Moi, je le taperai pas, bien sûr, je suis tolérant, ajoute un autre. Mais je lui tournerai le dos quand même. »
Chez ces adolescents, le rejet de l’homosexualité est souvent une manière d’afficher crânement son identité masculine. « Un homme, ça doit être fort, poursuit Nicolas. C’est normal, c’est la nature. Les homos, c’est le contraire, ils ont des gestes de filles. Il y en a peut-être qui sont des brutes, mais c’est rare. » « Quelque part, ils ont un peu perdu leur virilité, poursuit un autre. Il y a des filles qui aiment les hommes soumis, mais c’est des cas particuliers. Si on les insulte dans la rue, elles préfèrent un mec qui peut les défendre. » Alice Guéna intervient calmement. « Moi aussi je réagis lorsque mon amie se fait insulter dans la rue. Pas parce que c’est une fille, mais parce que je l’aime. »
La présidente du MAG laisse l’échange se déplacer vers le terrain du couple, de la famille, des enfants. La perspective du mariage homosexuel les fait sourire, l’homoparentalité les inquiète. « A l’école, les enfants d’homos, ils vont être clashés, affirme Steve. Et le jour de la Fête des mères ou des pères, ils donneront le cadeau à qui ? » Alice Guéna évoque les études qui montrent que les enfants des couples homosexuels vont aussi bien que les autres, parle de l’isolement des enfants de divorcés dans les années 1960, cite le cas des enfants élevés par un seul parent. « Oui, mais un petit qui grandit avec un couple homosexuel, ça peut le troubler, rétorque le voisin de Steve. Il va se demander qui est le papa, qui est la maman. »
Au terme d’une heure de débat, la professeure lève la séance dans un sourire. Les élèves se dispersent dans les couloirs en se bousculant, tandis qu’Alice Guéna s’attarde un instant dans les couloirs. « Quand je viens dans un lycée, mon but n’est pas de leur faire des leçons de morale ou de les faire changer d’avis, conclut-elle. J’essaye juste d’ouvrir un espace de parole. Ils vivent, comme nous tous, dans une bulle de verre avec leurs a priori, leurs certitudes, leurs préjugés. Mon travail, c’est d’ébranler certaines de ces certitudes. Je tapote à la vitre, ça crée une petite fêlure. Un jour, peut-être, le verre se fendillera. »
La « Marche des fiertés » contre l’homophobie à l’école
La huitième Marche des fiertés lesbiennes, gaies, bi et trans aura lieu, samedi 28 juin, à Paris. Cette manifestation, qui rassemble tous les ans plusieurs centaines de milliers de personnes, aura pour thème l’éducation : « Pour une école sans aucune discrimination ! », proclamera la banderole de tête. Les revendications traditionnelles de l’Interassociative LGBT (lesbienne, gai, bi et trans), comme le mariage et l’homoparentalité, seront également présentes.
Homophobie à l’école. Pour la première fois, la circulaire de rentrée de l’éducation nationale, qui a été diffusée aux chefs d’établissement le 4 avril, mentionne l’homophobie au chapitre de la lutte contre les discriminations. L’Inter LGBT, qui souligne que les homosexuels ont treize fois plus de risque de faire une tentative de suicide que les hétérosexuels, se félicite que le numéro de la ligne Azur - une ligne d’écoute consacrée aux problèmes d’orientation sexuelle - soit mis à la disposition des élèves et que des plaquettes sur l’homophobie soient diffusées aux enseignants.
Homoparentalité. Le statut des beaux-parents, que le gouvernement devrait présenter au premier trimestre 2009, devrait offrir des droits nouveaux aux « tiers » qui participent à la vie de l’enfant, et donc aux « parents sociaux » des couples homosexuels.
Le compagnon ou la compagne du parent juridique se verra reconnaître le droit d’accomplir les actes simples de la vie quotidienne - accompagner un enfant à l’école ou chez le médecin, par exemple. Le couple pourra également faire homologuer par le juge une convention de partage de l’autorité parentale qui leur permettra de prendre ensemble les décisions concernant la vie de l’enfant. « Ces mesures faciliteront la vie des familles homoparentales, se félicite Alain Piriou, le porte-parole de l’Inter LGBT. Nous regrettons juste que l’adoption simple de l’enfant du compagnon ou de la compagne n’ait pas été retenue. »
Nul ne sait exactement combien d’enfants grandissent aujourd’hui dans des familles homoparentales. Selon l’Institut national des études démographiques (INED), qui se fonde sur des comparaisons internationales, 24 000 à 40 000 enfants seraient élevés par des couples homosexuels. L’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), qui s’appuie sur des sondages, avance, elle, le chiffre de 300 000 enfants aujourd’hui et de 700 000, voire 1 million, dans quelques années.
Contrat d’union civile. Lors de la campagne électorale, Nicolas Sarkozy avait promis aux homosexuels un « contrat d’union civile » signé en mairie leur ouvrant les mêmes droits que le mariage, à l’exception de la filiation. Cette proposition ne plaît guère à l’Inter LGBT, qui préférerait une amélioration du pacte civil de solidarité créé en 1999. « Nous demandons l’égalité des droits, pas un mariage ghetto réservé aux homosexuels, note M. Piriou. Le gouvernement semble d’ailleurs avoir abandonné l’idée d’un contrat d’union civile : il semble se diriger vers une amélioration des droits des pacsés comprenant, notamment, une pension de réversion pour le partenaire survivant. »
Depuis sa création, le pacs a rencontré un immense succès : en six ans, le nombre annuel de pacs a plus que quintuplé, passant de 20 000 en 2001 à plus de 100 000 en 2007. Depuis la création du pacs, 12 % des contrats concernent des couples de même sexe.