● Peux-tu nous expliquer la situation légale et politique de l’homosexualité aux Philippines ?
Adriano Luis – Ici, l’homosexualité n’est pas punie par la loi, sauf si elle est publiquement affichée. Malgré tout, les problèmes restent nombreux : au niveau religieux, les Philippines sont le seul pays d’Asie à être dominé par le christianisme, et particulièrement par la religion catholique. Ici, même s’il y a une certaine « tolérance » de nos existences, s’affirmer ouvertement gay, lesbienne ou trans, expose toujours à de nombreux problèmes. L’acceptation des personnes LGBT est loin d’être la norme, dans une société qui reste profondément patriarcale. Pour comprendre la situation politique, il faut aussi prendre en compte la dimension multiculturelle des Philippines, et la présence de fortes communautés musulmanes et indigènes. Dans la plupart des communautés religieuses et culturelles, l’homosexualité reste vraiment taboue. Les Églises conservent une très forte influence sur la manière négative dont sont abordées les questions LGBT dans la société. Cela a des effets importants sur les autres institutions : école, médias, administrations d’État, etc.
● Comment se manifeste l’homophobie au quotidien ?
A. Luis – Quand on est gay, le fait de vivre dans des centres urbains ou à la campagne fait tout de même une grande différence. Dans les grandes villes, l’acceptation de l’homosexualité est plus importante, même si cela peut être variable en fonction des secteurs. La vie urbaine permet aussi, par son anonymat relatif, de trouver du travail, même en étant ouvertement gay. Enfin, ce sont dans les villes que s’organisent les activités sociales, culturelles et politiques LGBT. Mais les manifestations de violence et les discriminations homophobes restent monnaie courante, même dans les villes. Elles sont très importantes dans le domaine de l’emploi. Il y a beaucoup de stéréotypes sur les activités homosexuelles : les gays sont considérés comme « naturellement » destinés aux métiers artistiques, de la mode ou du cinéma. À l’inverse, les lesbiennes sont envoyées vers des métiers plus masculins. Mais, surtout, beaucoup d’employeurs discriminent les gays et les lesbiennes. D’autres domaines, comme l’armée, sont ouvertement interdits aux homosexuels. L’homophobie et la lesbophobie sont présentes dans tous les milieux sociaux mais, dans les classes plus aisées, il y a parfois une meilleure acceptation. Enfin, les trans, plus souvent issus de milieux modestes, sont victimes de plus de rejet encore. Un rejet par leur entourage, car ils et elles sont accusées de porter atteinte à l’honneur et à la réputation de leur famille ; mais aussi un rejet plus global du reste de la société, car ils et elles transgressent les normes de genre. Face à cette situation, en 2004, le Congrès a voté une loi rendant l’homophobie illégale au travail, dans les services publics et le système éducatif, dans la police et dans l’armée. Mais elle n’a jamais été réellement appliquée.
● Comment s’organisent les mouvements militants LGBT ?
A. Luis – Dans nos communautés, l’implication politique reste faible. Elle est plutôt portée par des militants déjà investis dans d’autres mouvements sociaux. En 1994, a eu lieu la première marche des fiertés LGBT en Asie du Sud-Est. Depuis, elle a lieu tous les ans, au mois de juin. Ces vingt dernières années, quelques associations de défense des droits des gays et des lesbiennes se sont développées, ainsi que des groupes trans. L’une des principales revendications actuelles des associations est la reconnaissance légale des couples de même sexe, qui n’ont aujourd’hui accès à aucun droit. Mais il n’y a pas encore vraiment de mouvement LGBT autonome et actif sur les combats qui nous concernent directement. Et les mouvements sociaux ne font pas, loin de là, des questions LGBT une priorité politique… Il y a malheureusement une vraie déconnection entre les mouvements progressistes et les personnes subissant homophobie et discriminations de genre. Pour ma part, j’ai une expérience plutôt individuelle que collective, en faisant mon « coming out » dans les mouvements de gauche. Pour beaucoup, le problème reste le fait d’être visible publiquement en tant que gay, et de s’exposer au rejet familial ou amical. Il y a toujours cette tension et cette crainte, ce qui freine la prise en compte politique des questions LGBT.
● Qu’en est-il de la pandémie de Sida aux Philippines ?
A. Luis – Ici, comme souvent, la plupart des gens associent le Sida à l’homosexualité. Ils se représentent les gays comme dépravés sexuellement, ayant de nombreux partenaires sexuels. Les gays sont tenus pour responsables de la diffusion de l’épidémie, à travers leurs comportements sexuels. Pourtant, même si les gays sont aussi très touchés, la pandémie concerne principalement les hétéros. Ici, la personnalité décédée du Sida la plus connue était une femme. L’autre dimension de cette homophobie concernant le Sida, c’est que la télévision ne montre jamais de témoignages concernant des gays ou des trans lorsque la prévention est abordée. En fait, le Sida sert aussi à discriminer les LGBT aux Philippines.
● Comment la gauche et ton organisation, prennent-elles en compte les questions LGBT ?
A. Luis – Il serait absolument nécessaire que la gauche intègre la lutte contre l’oppression des LGBT comme un élément de programme politique. Malheureusement, nous constatons toujours de fortes résistances sur ces questions dans nos organisations… Nous sommes actuellement en train de travailler sur des orientations politiques pour l’émancipation des LGBT. Une vraie mobilisation a démarré au sein de l’organisation de jeunesse, et notre objectif principal est de contribuer au développement d’un mouvement LGBT autonome et auto-organisé ! Cependant, le combat va être long pour placer nos revendications au rang des priorités politiques, car la répression et la situation politique, très violentes aux Philippines, compliquent beaucoup la tâche.