Tout indique que la hausse du prix du baril de pétrole va se poursuivre dans les années qui viennent. La demande des grands pays émergents va s’accentuer alors même que les pays producteurs voient leurs capacités de production stagner ou décliner, que le coût de mise en exploitation de nouveaux gisements, par ailleurs de plus en plus rares, explose et que les grands pays du nord restent profondément dépendants économiquement du pétrole et en consomment toujours plus. La spéculation constitue un facteur amplificateur. Cette consommation forcenée, génératrice d’émissions de gaz à effet de serre, est un des principaux facteurs du réchauffement climatique. Dans le secteur clé des transports, responsable d’un tiers des émissions, aucune alternative n’est aujourd’hui opérationnelle : le transport routier de marchandises n’a cessé de se développer et constitue un indispensable chaînon d’un système industriel basé sur le juste-à temps et la sous-traitance étendue. L’automobile individuelle est devenue indispensable à de nombreux salariés pour pouvoir se rendre à leur travail ou faire leurs courses. Tel est le résultat de l’aménagement du territoire dicté par la férule des intérêts privés.
Entre le prix du baril et le prix à la pompe s’intercalent notamment les taxes, TVA et TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers) : leur montant représente la quatrième recette fiscale du budget du budget de l’Etat. Ces taxes constituent 60% du prix à la pompe d’un litre de super sans plomb 95 en avril 2008, 49% pour le gazole. Autant dire que l’Etat a assis son financement sur la dépendance de l’économie au pétrole. Ces taxes sont profondément injustes : quel que soit son revenu, le consommateur, chômeur ou millionnaire, paie le même prix à la pompe. Plus le prix monte, plus le rapport de ces taxes est important. D’autre part, les compagnies pétrolières qui captent une partie de la rente pétrolière engrangent des superprofits faramineux.
La hausse du carburant piège littéralement un grand nombre de salariés : contraints de prendre leur voiture pour se rendre au travail, ils voient partir en fumée une bonne partie de leur salaire, jusqu’à 20 à 25% pour nombre de smicards soit plusieurs centaines d’euros par mois. Les inégalités sociales face à cette situation sont patentes. La distance domicile-travail est plus importante en moyenne pour un ouvrier que pour un cadre, 28km contre 18 km. Les salariés les plus modestes ne peuvent souvent acheter ou louer qu’à une distance importante des centre-villes ou des gares de transport en commun où loyers et coûts de l’immobilier sont prohibitifs. Un cadre habite en moyenne à 13km du centre de l’agglomération, un employé à 17, et un ouvrier à 19. Au surcoût du transport s’ajoute celui du chauffage au fioul pour de nombreux ménages. Entre 2001 et 2006, la part des dépenses énergétiques (gaz, électricité et carburant) est passé de 10,2 à 14,9% des revenus annuels chez les 20% de ménages les plus modestes, tandis qu’elle a baissé de 6,3% à 5,9% chez les 20% de ménages les plus riches. Le résultat c’est que dans bien des cas plus on est pauvre, plus on paye.
Cette hausse dégrade donc un peu plus les conditions de vie de fractions importantes du salariat. Elle se combine en effet avec la stagnation des salaires, et la hausse de nombreux produits de première nécessité : les prix dans les supermarchés et hypermarchés ont augmenté de 4% en janvier, 4,7% en février, et 4.9% en mars. Entre avril 2007 et avril 2008, le prix des pâtes alimentaires a bondi de 18,5%, celui des oeufs de 13,8%, celui du lait de 12,8%, etc... Face à cette situation, le gouvernement empile mesurettes et effets d’annonces, totalement incapable de s’attaquer aux racines du problème
Il est hors de question d’admettre cette situation qui fait payer la facture de l’irrationalité d’un système de production à ceux qui en sont les premières victimes. Pour autant, il ne saurait être question d’ignorer la question écologique. La réponse à apporter doit donc être indissociablement sociale et écologique. Penser faire l’un sans l’autre serait raisonner à courte vue : oublier de prendre en compte l’écologique reviendrait à refuser de voir que la hausse du prix du brut est inéluctable, et à faire abstraction du fait qu’il ne saurait y avoir recul des émissions de gaz à effet de serre sans réduction drastique du trafic routier, aussi bien poids-lourds qu’automobile. Refuser de prendre en compte le social, ce serait passer par pertes et profits la dégradation des conditions de vie de millions de personnes et prendre le risque que toute politique écologique soit assimilée par une frange importante des salariés à une politique antisociale. Loin de s’exclure, les deux dimensions se confortent, si l’on veut bien se rappeler que les responsables de la crise écologique et de la crise sociale sont les mêmes.
La dégradation du pouvoir d’achat appelle plusieurs réponses. En premier lieu bien sûr, l’augmentation des salaires : 300 euros nets pour tous, et personne au-dessous de 1500 euros nets. Mais cela risque de ne pas répondre au problème particulier du carburant : si toute la hausse de salaire est « mangée » par le surcoût du transport et du chauffage, on n’aura pas avancer d’un pas. Il faut donc répondre spécifiquement sur le prix du carburant en disant clairement que ce n’est pas aux salariés et aux plus pauvres à payer pour les dégâts d’un système de production et de transports dont ils sont prisonniers. Pour autant, peut-on dire purement et simplement non à la hausse du prix à la pompe ? Cela soulève une difficulté car cela revient à revendiquer une baisse pour tous les consommateurs et tous les usages sans distinction. Rappelons par exemple qu’aujourd’hui plus d’une voiture sur deux vendue est un véhicule d’entreprise. Il faut donc revendiquer la prise en charge du coût du transport domicile-travail pour les salariés par l’employeur (ainsi que du coût de la recherche d’emploi pour les chômeurs) : gratuité des transports en commun ainsi que prise en charge intégrale du coût du carburant ou en tout cas d’une grande partie de ce coût. D’autre part, il faut exiger pour le chauffage l’attribution d’un quota gratuit d’énergie par personne. La consommation intervenant au-delà de ce quota serait facturée de plus en plus cher : le killowatt-heure qui chauffe la 28e pièce du château ne doit pas coûter le même prix que celui qui chauffe le trois pièces où vivent 4 personnes. En outre, il faut revendiquer la fin des taxes indirectes TVA et TIPP qui frappent de manière égale le consommateur quel que soit son revenu et ne distinguent pas entre les usages sociaux : bien évidemment cette suppression des taxes doit s’intégrer dans une réforme fiscale qui place en son cœur la justice fiscale et ne s’interdit pas d’utiliser la taxe environnementale. On peut imaginer différents outils fiscaux environnementaux socialement justes par exemple instaurer une taxation au kilomètre parcouru d’un montant progressif à partir d’un certain seuil non taxé, avec une surtaxation des kilomètres parcourus pour les véhicules plus polluants que le véhicule le plus économe sur le marché, ainsi que pour certaine usages. Cependant l’utilisation d’écotaxes ne peut être qu’un outil secondaire d’accompagnement.
L’action résolue de baisse du prix des carburants pour les salariés et les plus pauvres doit s’intégrer dans une profonde restructuration de l’organisation des transports, qui conduise rapidement à faire basculer de nombreux travailleurs de la voiture vers le transport en commun, le vélo ou la marche. Ce basculement suppose un plan d’investissement massif afin de densifier le réseau de transport en commun : permettre les liaisons de banlieue en banlieue sans passer par le centre, rendre plus rapide le trajet de tout point d’une agglomération à une autre en transport en commun que par voiture individuelle, désengorger les lignes saturées en augmentant les fréquences ou en les doublant, aménager des parkings gratuits à proximité des points de desserte de transports en commun, améliorer la desserte des zones d’activité et zones industrielles, aménager un maillage de lignes départementales et interdépartementales beaucoup plus dense en priorisant le train. Cette restructuration doit s’accompagner d’un profond changement dans le transport de marchandises : le transport routier longue distance, ou le transit routier international par la France doivent être stoppés. Cette mesure doit s’accompagner d’un plan de reconversion des conducteurs leur garantissant le maintien du salaire jusqu’à reclassement effectif sur un poste de rémunération équivalente. La sous-traitance en cascade doit être proscrite et la durée du travail calée sur le droit commun. Ce bouleversement dans les transports doit s’accompagner d’un bouleversement au niveau énergétique : la gravité du réchauffement climatique impose de réduire drastiquement et rapidement les émissions de gaz à effet de serre (au moins de 80% en 2050).
Réorganisation des transports, et révolution énergétique : ceci suppose de substituer à la loi aveugle du marché la planification. Cela suppose aussi de prendre le contrôle du secteur énergétique et des transports afin d’en faire de grands services publics de nouveaux secteurs publics sont à créer, de préférence au niveau européen, et non à abandonner aux mains du privé, par exemple le développement des énergies renouvelables ou l’isolation. Les principaux trusts énergétiques doivent être nationalisés sous contrôle des travailleurs, à commencer par Total, et leurs profits utilisés au financement de ces bouleversements.
L’écotaxe : une solution miracle ?
Pour certains géo-trouve-tout de la fiscalité, l’écotaxe constitue l’alpha et l’oméga de la lutte contre le réchauffement climatique : l’inénarrable Jancovici explique ainsi comment on va changer le monde en instaurant une taxe sur le carbone dont le niveau augmentera de manière progressive et perpétuelle. Et tant pis si les pauvres sont étranglés ! Pour tenter de vendre sa potion fiscale, il indique que cette taxe serait compensée par une baisse des cotisations patronales de sécurité sociale : c’est la « neutralité fiscale » voulue par le MEDEF. Cette vision dangereuse de l’écotaxe n’est pas la seule mais elle indique comment un outil présenté comme écologique peut servir à redoubler les attaques contre les acquis sociaux, particulièrement la protection sociale.
La mise en place d’une écotaxe peut être utile comme mesure d’accompagnement d’une politique plus globale de changements structurels, elle ne saurait s’y substituer. Pour être acceptable, elle doit être socialement juste. Son instauration ne saurait se faire au détriment du financement de la protection sociale. Enfin, sauf à être un outil pronucléaire, ce doit être une taxe sur l’énergie consommée non une taxe carbone sur les seules sources d’énergie fossiles.
Un gouvernement enlisé
Sarkozy, Fillon, et Lagarde sont incapables de prendre les mesures à la hauteur des enjeux. Pourtant limitée car elle n’annulerait pas les hausses actuelles, la proposition de plafonner la TVA sur le gazole, ne concernerait que certaines professions mais pas les salariés : elle est d’autant plus facile à formuler qu’il sera possible de reprocher aux autres pays européens d’avoir refusé de la mettre en place. Fillon quant à lui vient d’annoncer une aide aux trajets domicile-travail pour les salariés : soumis à la négociation avec le patronat, prise en charge en partie par l’Etat, elle risque de se résumer à une obole. Du même tonneau est la taxation homéopathique des revenus de Total pour aider à financer la prime à la cuve des ménages non imposables. Heureusement, Christine Lagarde s’en est pris aux spéculateurs, demandant aux « régulateurs, notamment américains » du marché de « faire un effort » pour trouver qui provoque ces fortes hausses et « y mettre un terme ». Nous voilà complètement rassurés !