De Bruxelles,
Comme partout en Europe, la flambée des prix des produits des denrées alimentaires de base, des tarifs du gaz et de l’électricité, des produits pétroliers a entamé le pouvoir d’achat en Belgique. Malgré l’indexation [2] des salaires et des allocations sociales, un retraité sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté, 15 % des salariés sont des travailleurs pauvres.
La Belgique compte un taux élevé de syndicalisation (70 %) – 3 200 000 syndiqués, pour une population totale de 10,5 millions d’habitants. D’une part, cela confère une force de frappe puissante au mouvement syndical : lorsque les directions syndicales appellent à la grève générale, l’ensemble du pays est paralysé. D’autre part, peu de luttes sociales échappent au contrôle des appareils syndicaux, qui sont souvent en mesure de faire reprendre le travail dès qu’ils sentent que le mouvement commence à leur échapper. Contrairement à la France, les coordinations syndicales et les grèves reconductibles en assemblées générales sont rares.
Pourtant, en janvier 2008, une bonne vingtaine de grèves spontanées ont balayé le terrain social, principalement en Flandre, où le taux de chômage est moins élevé que dans le sud du pays et où la crainte de ne pas retrouver du travail en cas de licenciement pèse moins. Dans une série d’entreprises, le plus souvent chez les équipementiers de l’industrie automobile, les travailleurs sont partis spontanément en grève pour obtenir un rattrapage du pouvoir d’achat. Non seulement ces grèves spontanées ont pris au dépourvu les directions syndicales, mais elles ont souvent été couronnées de succès et ont permis d’arracher des primes uniques de vie chère allant de 300 à 1 000 euros.
Ces grèves spontanées ont aussi porté un rude coup à la politique de concertation sociale pratiquée par les directions syndicales. Lors des derniers accords interprofessionnels, celles-ci avaient accepté, sous prétexte de « maintenir la compétitivité », une norme salariale de hausse des salaires de 4 % « tout compris » (indexation comprise) sur deux ans. Étant donné que l’inflation atteint maintenant 5,21 %, le respect de tels accords signifiait une baisse réelle du pouvoir d’achat. La brusque hausse du coût de la vie et les réactions spontanées des travailleurs ont donc pris à contre-pied le patronat et les directions syndicales, faisant voler en éclats la norme salariale.
Lors des élections sociales, qui se sont déroulées du 5 au 18 mai dans les entreprises de plus de 50 travailleurs, les directions syndicales ont soigneusement évité d’embrayer sur le mouvement de grèves spontanées de janvier, et elles n’ont pas placé au premier plan les revendications salariales. Une fois les élections passées, il n’était plus possible de faire la sourde oreille au ras-le-bol de la base. L’ampleur de la participation aux manifestations, alors qu’aucun mot de d’ordre de grève n’avait été lancé, a reflété le potentiel de lutte. Mais le fait d’avoir placé le calendrier des manifestations à la veille des vacances n’est pas innocent. Sauf surprise, le véritable combat est reporté à septembre.
Volonté d’unité
Alors que la bourgeoisie souhaiterait un gouvernement fort capable de briser la résistance syndicale et d’imposer une offensive néolibérale brutale, le gouvernement Leterme ressemble de plus en plus au Radeau de La Méduse. La droite avait gagné les élections de 2007 et Yves Leterme (social-chrétien flamand) avait récolté 800 000 voix en Flandre, en faisant campagne sur le thème du « plus d’autonomie pour la Flandre » (régionalisation de la politique de l’emploi et des impôts). Mais le découpage électoral n’a pas permis à Leterme de récolter la moindre voix dans la partie francophone du pays. C’est donc un Premier ministre faible, qui doit aujourd’hui faire face à un mouvement social puissant. La bourgeoisie avait rêvé d’un Sarkozy pour imposer ses contre-réformes à la hache, elle hérite d’un Raffarin de deuxième classe !
Né à l’issue de plusieurs mois de négociations laborieuses, le gouvernement Leterme, asymétrique [3], est paralysé par ses propres contradictions et il ne parvient pas prendre des décisions significatives, ni sur le plan communautaire, ni sur le plan socio-économique. La bourgeoisie ne souhaite pas l’éclatement du pays. Elle souhaite s’appuyer sur la régionalisation de certains domaines socio-économiques pour fragmenter le mouvement social, l’affaiblir et imposer au forceps encore plus de flexibilité du marché du travail, un service minimum dans les transports publics, voire un abandon de l’indexation des salaires.
Dans le camp syndical, la volonté d’unité entre les travailleurs flamands et francophones (« Tous ensemble ! ») est très forte, tant à la base que dans la plupart des directions. La prochaine étape sera sans doute une manifestation nationale unitaire, voire une grève générale. Comme les reportages télévisés montrent que la colère contre la hausse des prix éclate dans d’autres pays, certains manifestants se mettent à imaginer une journée de lutte à l’échelle européenne.