Le tremblement de terre qui a frappé la région du Sichuan le 12 mai et qui s’est prolongé par des milliers de répliques a officiellement fait près de 69 000 morts, 18 000 disparu-e-s et des millions de sans-abri. Actuellement, les secours s’activent pour parer aux risques d’inondation entraînés par la formation de plus de 30 lacs « post-séismes » formés par des glissements de terrain massifs bloquant les rivières. Si l’origine du séisme se trouve dans le mouvement tectonique qui fait remonter depuis des millions d’années la plaque du sous-continent indien vers le nord, les effets des secousses ont été largement amplifiés par les choix politiques et économiques des autorités.
En donnant la priorité absolue à une croissance soutenue, le gouvernement chinois et ses relais locaux ont nettement négligé toute une série de paramètres de sécurité dans une région hautement sismique depuis toujours. L’exemple le plus tragique en est donné par la facilité avec laquelle près de 7000 écoles se sont effondrées ; la corruption endémique aidant, elles ont été bâties avec des matériaux de mauvaise qualité et en ignorant tout des règles antisismiques.
De même, la qualité de construction des barrages, dont la région est truffée, n’est pas sans défaut et leur maintenance a été délaissée. La primauté attribuée au pharaonique barrage des Trois-Gorges a littéralement siphonné les ressources financières qui auraient pu être consacrées à l’entretien et à l’amélioration des autres barrages, dont les faiblesses étaient connues. Lorsqu’après le tremblement de terre, le ministre des Ressources hydrauliques, Chen Lei, explique que le pays à un « sérieux problème » avec ses barrages, il ne fait que confirmer une situation bien connue avant même la catastrophe.
Pire, des barrages en série (Tianlonghu, Jinglongtan, Tongzhong, Jaingsheba, Caopo, Futang, Taipingyi, Yingxiu et Zipingpu) ont été construits le long de la rivière Min Jiang, un des principaux affluents du Yangtsé (Yangzi Jiang) ; or cette rivière court le long de la faille montagneuse de Longmen shan, large de 70km et longue de 400, qui sépare le plateau tibétain et la plaine de Chengdu. Une zone à forte activité sismique.
Un cas préoccupant est celui du barrage de Zipingpu, construit il y a deux ans et qui se situe à sept kilomètres de la ville de Dujiangyan ravagée par le séisme. L’épicentre n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres. Construit pour résister à un séisme d’une intensité de VIII [1], Zipingpu a été endommagé par les secousses récentes dont l’intensité s’est élevée jusqu’à XI. Un passage a ainsi dû être percé pour permettre le déversement d’une partie des eaux du lac de retenue et réduire ainsi leur pression sur le mur du barrage. L’effondrement des autres barrages situés en amont provoquerait une catastrophe en chaîne.
Or ces ouvrages ont été mis en cause dès leur conception par des responsables chinois. Parmi eux, Fan Xiao, ingénieur en chef du département régional de recherches géologiques du Bureau de géologie et de minéralogie du Sichuan. Il s’en explique dans un entretien avec le Quotidien urbain du Sud (Nanfang Dushibao) du 22 mai :
• QuS : Nous savons que vous avez exprimé votre opposition à la construction de ces barrages. Pourquoi ?
Fan Xiao : Je me suis opposé à l’idée de construction de barrages, non seulement à celui de Zipingpu, mais à tous les barrages sur la rivière Min. Il y a dix grands barrages sur le chenal principal, dix-neuf sur les affluents, un chiffre plus élevé encore si l’on inclut les petits barrages. La rivière, dans son ensemble, est bloquée par une cascade de barrages, ce qui crée un risque géologique élevé.
• QuS : Pourquoi ?
Fan Xiao : Parce que cette région est dans une zone sismique active. Ce tremblement de terre avait une magnitude de 8. Mais de fait, des tremblements de terre de niveau 7 sur l’échelle de Richter se sont très souvent produits dans la région en général et en particulier dans la zone de Yingxiu, la ville située à l’épicentre.
• QuS : Donc, la situation était connue ?
Fan Xiao : Oui, les géologues professionnels étaient conscients du risque. En 1933 déjà, un puissant tremblement de terre à eu lieu à Diexi, dans la vallée de la rivière MIn, avec, comme aujourd’hui, des glissements de terrain et la formation de lacs « post-séismes ». Le barrage de Zipingpu a été conçu pour résister aux tremblements de terre d’une intensité de VIII, mais les récents séismes sont très puissants, avec des intensités de IX à X à l’épicentre, pouvant à l’extrême atteindre XI dans certaines régions.
• Qus : Quelle a été votre première réaction après le tremblement de terre ?
Fan Xiao : L’inquiétude. J’étais terriblement inquiet […] J’ai été préoccupé par la sécurité de ces barrages et des réservoirs de retenue dans la région depuis qu’ils ont été construits. Je pense que nous ne pouvons écarter la possibilité que la construction du barrage de Zipingpu ait induit le tremblement de terre, vu la proximité de l’épicentre. Ce phénomène s’appelle la « sismicité induite par les réservoirs ».
• Qus : Vous pensez cela possible ?
Fan Xiao : Ce n’est pas une conclusion, mais une hypothèse.
• Qus : Pourquoi cette hypothèse ?
Fan Xiao : Parce que le réservoir est construit sur la faille. Le mur de retenue est de 156 mètres de haut, l’eau accumulée a une profondeur de plus de 100 mètres. L’eau du réservoir exerce une pression hydraulique écrasant la zone de la faille, provoquant des perturbations dans cette zone. […] L’eau qui s’écoule du réservoir à travers le sol fonctionne comme un lubrifiant dans la faille. De plus, il y a de très nombreux cas de sismicité induite par les réservoirs et Zipingpu réunit toutes les conditions pour cela. […] Mais des preuves supplémentaires sont nécessaires pour l’établir.