Puisque tu as été l’avocat du MST, quelle est l’origine du Mouvement des Sans Terre. Pourquoi y a t-il eu besoin au brésil de constituer un mouvement paysan de la sorte. c’est certes dans son nom, mais quelles sont les racines de ce mouvement social ?
La nécessité d’apparition du MST est liée a deux problèmes que j’aborde dans mon rapport parlementaire : la conjoncture historique que nous vivons et la taille continentale de notre pays. La formation économique et sociale du Brésil s’est faite sur le « latifundio », la grande propriété de la terre et ce dès la colonisation. Ceci a engendré au cours de l’histoire du Brésil beaucoup de conflits. Certains d’origine religieuse, d’autres que l’on appelait banditisme social (Cangaceiros, Lampião) d’autres liés à des leaders messianiques (Contestados, antonio conseleiro,...) parce qu’en réalité la concentration de la terre a entraîné une concentration du pouvoir très importante de l’élite possédante et bien sûr à coté des situations d’extrême pauvreté, d’injustices intolérables vécues par les paysans sans terre.
Pendant 500 ans, depuis l’arrivée des Portugais, il n’y a jamais eu une réelle réforme agraire au Brésil , il n’y a jamais eu de démocratisation de l’accès à la terre, bien au contraire. Les différents gouvernements, même après l’indépendance, même les gouvernements républicains avant et après la dictature ont toujours maintenu intact cette structure foncière.
Parmi les luttes importantes pour la terre au Brésil, il y a 50 ans sont apparues dans le Nordeste les ligues paysannes qui ont posé pour la première fois de façon radicale la revendication de Réforme Agraire, un de leur slogan était : « Réforme agraire par la loi où par la lutte ». Les ligues ont été accompagnées par la formation des premiers syndicats ruraux qui avaient deux origines : l’église catholique (de la théologie de la libération) et le Parti communiste brésilien.
Dans cette dynamique, dans un Etat du Sud (le Rio Grande do Sul dont la capitale est Porto Alegre) est née la première organisation de sans terre qui s’appelait le MASTER. Ce fort mouvement social sur la question cruciale de la terre à été une des causes principales de l’organisation du coup d’Etat militaire de 1964, renversant le gouvernement légitime de l’époque qui commençait à relayer ces revendications populaires. La dictature militaire a duré 21 ans.
Plus récemment, dans les années 80 est née dans le sud, cette très forte organisation qu’est le MST, plus exactement le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre. Ce mouvement a comme base sociale, les paysans avec très peu de terre, les employés des fazendas qui veulent s’émanciper, les paysans atteints par les grands projets notamment de barrages et regroupe autour d’un 1 500 000 personnes. Ce mouvement est surtout fort de l’analyse des échecs des précédentes luttes et pratique les occupations massives de terre. le slogan du MST est « Occuper Résister Produire », Occuper les terres et attaquer la propriété privée sacrée pour le capitalisme, Résister parce que l’élite ne se laisse pas faire et Produire pour construire l’alternative. Le MST est sans aucun doute le principal mouvement social brésilien pour sa lutte pour la réforme agraire, contre les OGMs, pour la justice et les droits de l’homme et pour une démocratie réelle dans notre pays.
Quelle forme a pris ce mouvement ? Est-il structuré en réseau, ou selon une forme plus proche du mouvement ouvrier avec une direction, des élus, un comité central, des instances locales ? et quels sont historiquement ses liens avec le PT ? Est-il né avec le PT, en parallèle ou comme interlocuteur du PT sur la question de la réforme agraire ?
Premièrement, le MST n’a pas une structure de type syndical, avec des fédérations locales puis régionale. Le MST a une forme d’organisation propre, il s’organise à la base dans les installations (terres conquises après occupation) et dans les occupations, il fonctionne en secteurs par exemple celui de l’éducation, de la santé, de la formation politique. les directions d’états (le brésil est un état fédéral) ont une relative autonomie, il y a une direction nationale mais elle n’est pas centralisée du moins au niveau de la prise de décision, (au dernier congres du MST il y avait 15000 délégués des noyaux de base du MST) pour rester au plus près des caractéristiques locales.
Il y a dans le MST des militants du PT et aussi d’autres partis de la gauche brésilienne, mais il n’y a pas de lien automatique, le MST tient à rester autonome des partis politiques mais aussi des gouvernements ou de l’église. Le MST a réussi à rester totalement indépendant et on peut le constater encore aujourd’hui, ils ont par exemple soutenu des parlementaires de partis différents aux dernières élections selon les régions et le contexte et surtout selon leur engagement dans la lutte pour la terre.
Quel bilan fais tu de la politique du gouvernement de Lula et du PT pendant son premier mandat ?
Le bilan est négatif, il y a des petites différences avec le gouvernements antérieurs bien sûr, par exemple une relation de dialogue meilleure pas seulement avec le MST mais avec d’autres mouvements sociaux mais aussi la volonté d’améliorer les conditions de vie dans les installations déjà existantes. Mais au final, le gouvernement a fait des alliances fatales avec l’agrobusiness, le gouvernement ne s’est donc pas affronté aux grands propriétaires ruraux qui aujourd’hui sont organisés dans les grandes entreprises rurales. Ces entreprises ont des aspects modernes du point de vue de l’équipement par exemple mais sont totalement archaïques sur le plan social avec des cas de travail esclave encore aujourd’hui au Brésil et surtout une extraordinaire nocivité pour l’environnement. Cet archaïsme ajouté à la concentration de terre font du brésil le pays le plus injuste du monde avec moins de 2% des propriétaires possédant 48%. Le premier plan commandé par le gouvernement Lula prévoyait l’installation d’un million de famille sur trois millions de familles Sans Terre, cet objectif de début de mandat a été réduit à 400 000 familles et même cet objectif n’est pas rempli après 4 ans de gouvernement. Si bien que l’on compte sur des terres de grands propriétaires, au bord des routes sous des bâches noires 200 000 familles en train d’occuper de la terre sans que le gouvernement ne régularise, je pense vraiment que le bilan de la politique de Lula est négatif.
Plus généralement quel bilan tires tu de ce gouvernement en tant que militant politique au brésil , sur la question du partage des richesses, sur l’accès de tous à l’éducation, à la santé ?
Je pense que d’un point de vue plus général, le bilan est plus négatif que positif surtout par rapport aux espoirs que la société brésilienne mettait en Lula et sur ce gouvernement qui apparaissait comme un gouvernement de gauche. Par exemple, en ce qui concerne l’éducation. Nous avons un déséquilibre entre l’éducation publique et privée. L’éducation publique tout le monde n’y a pas accès, une frange des enfants exclus n’apprennent pas à lire, et plus on avance dans la scolarité plus l’exclusion est large et seuls les classes moyennes et l’élite peuvent suivre un cursus universitaire, le système public est très faible, loin derrière le privé. Le gouvernement Lula a fait une mesure pour créer plus de places en université publique mais seulement en achetant 100.000 places aux universités privées alors qu’il manque en urgence un million de places... Pire les achats se sont fait en exonérant d’impôt les universités privées !
Plus globalement, ce gouvernement en 4 ans de pouvoir à déjà payé 500 milliards de reais en intérêts de la dette. Pendant le dernier débat du second tour opposant Lula et Alckmin, Lula en appelait aux banquiers, disant qu’ils n’avaient jamais gagné autant d’argent que sous son mandat et donc ne comprenant pas pourquoi ils soutenaient encore la candidature de droite de Alckmin !
Lula cherche toujours à se faire accepter par la classe dominante. La politique économique de lula est une politique en continuité avec le gouvernement libéral précédant, celle du FMI et de la Banque Mondiale.
Je comprends bien le fond politique de la rupture avec le PT, mais à partir de quel moment avez vous décidé de quitter le PT et de faire un autre parti ?
Le départ de certains parlementaires du PT n’a pas été une décision facile. Au début du gouvernement Lula nous parlions de « gouvernement de dispute » dans la mesure où il y avait une alliance de classe (matérialisée par une alliance de partis de droite avec le PT) nous devions aider à tirer vers la gauche ce gouvernement.
Nous avons évaluer après 3 ans, que cette dispute n’a rien donné car la ligne politique du gouvernement était de plus en plus à droite. La base d’appui du gouvernement à l’assemblée a changé, les partis de droite et de centre droit en sont devenu les piliers. Une autre chose qui pour nous est intolérable est l’intégration dans la pratique du PT de méthodes de corruption (achat de députés d’opposition, détournements de fonds, fraudes électorales) qui ont définitivement enterré la confiance politique que l’on pouvait encore avoir dans cette structure et surtout dans l’ensemble de sa direction qui n’a pas remis en cause ces pratiques.
Certes, le PT n’était déjà plus le parti de la transformation sociale de la révolution socialiste démocratique brésilienne mais il est devenu en quelques années l’instrument d’implantation du modèle libéral, un parti que nous appelons « social libéral ». Le PT a fait en 3 ans le chemin que la social démocratie européenne a fait en 50 ans !
Les politiques que l’on appelle « compensatoire » c’est-à-dire d’assistance aux plus pauvres (11 millions de familles reçoivent 1 dollar par jour ; politique inspirée par la Banque Mondiale) cachent les bénéfices extraordinaires de la crème de la crème : les banquiers, les spéculateurs. Et donnent une base sociale importante pour tenter des réformes libérales que même la droite n’a pas osé tenter (réforme des retraites des fonctionnaires, réforme du code du travail, réforme syndicale). Toutes ces réformes par exemple, nous ne les avions pas voter et nous avons décidé de quitter le PT moi et quatre autres députés en septembre 2005 pour rejoindre le Psol déjà constitué suite à l’exclusion de 3 parlementaires du PT en 2003 (dont Heloisa Helena la candidate du Psol contre Lula).
Nous avons conscience que c’est un lourd défi, ce n’est pas facile, à cause de l’implantation forte du PT, du prestige de Lula à l’intérieur et hors du Brésil mais nous pensons qu’il est nécessaire et urgent de construire un nouveau parti socialiste et révolutionnaire au Brésil.