Un jugement contre les droits des femmes.
Communiqué
La LCR s’associe à la protestation des associations féministes contre le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lille en avril 2008. Une procédure (l’annulation du mariage) qui est censée protéger des citoyens et des citoyennes, notamment contre des mariages forcés, a servi à cautionner une conception de la sexualité qui porte atteinte à l’égalité entre hommes et femmes et à la dignité des femmes. Le tribunal en acceptant la démarche de l’époux qui déclarait avoir été « trompé » sur une « qualité essentielle » de sa future épouse censée être « chaste et vierge » a cautionné l’assimilation de cette femme (et plus largement des femmes) à une marchandise avariée pour laquelle il faut demander réparation.
La LCR met en garde tous ceux qui voudraient profiter de l’indignation légitime suscitée par ce jugement pour relancer une campagne de stigmatisation des personnes musulmanes.
Dans toutes les religions, la virginité est une norme réactionnaire destinée à contrôler le corps des femmes et à exercer un pouvoir sur leur vie. N’oublions pas que le Pape réaffirme régulièrement la condamnation du droit des femmes à disposer de leur corps. A l’heure où, le gouvernement commence à mettre en cause le principe de
mixité à l’école et cherche à démanteler le service des droits des
femmes", plus que jamais nous devons défendre ce droit sans concession.
Le 2 juin 2008.
Ligue communiste révolutionnaire
Mariage annulé : le parquet général va faire appel
La ministre de la justice, Rachida Dati, a demandé au procureur général de Douai que le parquet interjette appel du jugement du tribunal de grande instance de Lille, qui a annulé un mariage parce que l’épouse avait menti sur sa virginité, a annoncé, lundi 2 juin, la chancellerie.
L’annonce de l’annulation de ce mariage a provoqué une vive émotion, notamment parmi les défenseurs des droits des femmes. Le tribunal de grande instance de Lille avait prononcé l’annulation « pour erreur sur les qualités essentielles ».
UN VIF DÉBAT DE SOCIÉTÉ
« L’annulation d’un mariage par le tribunal de grande instance de Lille a provoqué un vif débat de société. Cette affaire privée dépasse la relation entre deux personnes et concerne l’ensemble des citoyens de notre pays, et notamment les femmes », explique la chancellerie, c’est pourquoi la garde des sceaux « souhaite que la juridiction collégiale d’appel puisse être amenée à se prononcer à nouveau », a-t-elle ajouté.
Dans un premier temps, Rachida Dati avait estimé que « le fait d’annuler un mariage est aussi un moyen de protéger la personne qui souhaite peut-être se défaire du mariage ». Et précisé que les deux époux concernés était « d’accord ». Mais la décision du tribunal de Lille avait provoqué la colère de Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP. Estimant que le jugement était « profondément choquant », il avait appelé la ministre à engager une démarche pour en obtenir l’annulation.
* LEMONDE.FR avec AFP | 02.06.08 | 18h21 • Mis à jour le 02.06.08 | 18h23.
Mme Dati défend l’annulation d’un mariage pour mensonge sur la virginité
Le mariage annulé par décision de justice en avril, au motif que la mariée avait menti sur sa virginité, n’en finit pas de provoquer des réactions. Après Valérie Létard, secrétaire d’Etat à la solidarité chargée du droit des femmes, qui s’est déclarée, jeudi 29 mai, « consternée » de voir que certaines interprétations du code civil puissent conduire « à une régression du statut de la femme », Fadela Amara, secrétaire d’Etat à la politique de la ville, a évoqué vendredi une « fatwa contre l’émancipation des femmes ».
La garde des sceaux, Rachida Dati, a cependant défendu la décision rendue par le tribunal de grande instance de Lille, estimant que l’annulation de ce mariage était « aussi un moyen de protéger (...) cette jeune fille ». La garde des sceaux a ainsi émis l’hypothèse que la femme avait souhaité se séparer assez rapidement. « La justice est là pour protéger les plus vulnérables », a rappelé la ministre de la justice, indiquant que la « décision civile, avec le consentement des deux parties, a été prise par un critère juridique, à savoir une erreur sur la qualité essentielle de la personne pour une des parties ».
« TRÈS RÉDUCTEUR PAR RAPPORT AU STATUT DE LA FEMME »
C’est justement cette qualification d’« erreur sur des qualités essentielles de la personne », une notion qui permet à l’autre époux, en vertu de l’article 180 du code civil, de demander la nullité du mariage, que conteste le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye. « La sexualité, à la différence du divorce, de l’identité, de la tutelle curatelle ou encore de la nationalité de la personne, reste du domaine de la sphère privée et chacun est libre de disposer de son corps comme il l’entend. » Selon l’analyse de ses services, « la virginité n’est pas du tout une qualité essentielle d’une personne. »
M. Delevoye s’inquiète des conséquences engendrées par cette jurisprudence : « Demain il va y avoir une multiplication des nullités du mariage et on pourra avoir des jeunes filles qui pourraient subir des opérations chirurgicales pour se refaire l’hymen. » Pour le médiateur, cette décision de justice est « contraire à l’esprit de la laïcité et très réducteur par rapport au statut de la femme ».
« LA CHANCELLERIE DOIT DÉCLENCHER UN RECOURS », SELON L’UMP
Alors que le PS a qualifié hier ce jugement d’« atterrant », le parti au pouvoir a interpellé le gouvernement. Dominique Paillé, porte-parole de l’UMP, a vivement réagi sur les ondes de RMC et sur BFM-TV : « S’il y a eu stricte application de la loi, c’est que la loi n’est plus bonne, il faut la modifier. Si on est allés au-delà de la loi, à ce moment-là il faut que ce soit sanctionné », a-t-il déclaré.
Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP et proche de Nicolas Sarkozy, a souhaité, vendredi 30 mai, que la chancellerie « déclenche un recours dans l’intérêt de la loi pour dire le droit. (...) C’est une mise en cause de l’égalité hommes-femmes, les hommes ne pouvant être mis en cause pour les mêmes motifs ».
Débat après l’annulation d’un mariage entre musulmans
L’annulation, par la justice, d’un mariage parce que la femme avait menti sur sa virginité a suscité, jeudi 29 mai, une controverse. Au nom du gouvernement, Valérie Létard, la secrétaire d’Etat à la solidarité, a estimé que cette décision était une « atteinte à l’intégrité des femmes et une violation des droits fondamentaux de tout individu ». Il s’agit, a-t-elle conclu, d’une « régression du statut de la femme ». Le PS a dénoncé un jugement « atterrant ».
Célébré le 8 juillet 2006, le mariage unissait un ingénieur français converti à l’islam et une étudiante française de confession musulmane. Lors de la nuit de noces, l’époux avait découvert que sa femme n’était pas vierge : les festivités avaient été interrompues et, le lendemain, le mari s’était présenté chez son avocat afin de déposer une demande de nullité, invoquant une « erreur sur les qualités essentielles » du conjoint. Une notion qui comporte, selon la jurisprudence, une double dimension objective et subjective.
Le tribunal de Lille, qui a accédé à sa demande le 1er avril, précise que l’époux avait « contracté mariage avec Y après que cette dernière lui a été présentée comme célibataire et chaste ». « Estimant que la vie matrimoniale a commencé par un mensonge, lequel est contraire à la confiance réciproque entre époux, pourtant essentielle dans le cadre de l’union conjugale, il demande l’annulation du mariage », précise le jugement.
Le tribunal a prononcé la nullité parce que la jeune femme a acquiescé à la demande de son époux : selon les juges, ce geste prouve que la virginité était « bien perçue par elle comme une qualité essentielle déterminante du consentement » de son mari.
Pour la présidente de Ni putes ni soumises, Sihem Habchi, c’est une « fatwa contre la liberté des femmes ». « Le jugement n’a pris en compte à aucun moment la pression familiale. Il ne s’est pas demandé pourquoi la jeune fille a été poussée à mentir. Nous défilons le 7 juin pour rendre hommage à une jeune fille qui s’est défenestrée parce que son père a découvert qu’elle sortait avec un homme. Il faut que la justice soutienne ces femmes. »
« FORNICATRICE »
D’un point de vue strictement religieux, la virginité, dans l’islam, est exigée jusqu’au mariage tant pour la femme que pour l’homme. Mais, dans la pratique, beaucoup de musulmans ne respectent pas l’obligation. « Ce sont les traditions qui dictent le comportement de l’époux, indique Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne (Rhône). Même si le fait d’avoir des rapports sexuels avant le mariage est considéré comme un grand péché, l’islam ne s’oppose pas au mariage à condition que les parties se mettent d’accord. » Un avis juridique du Conseil européen de la fatwa précise que « si le fornicateur et la fornicatrice se repentent devant Dieu en abandonnant l’illicite pour le licite (mariage), alors leur mariage est valide. »
Pour Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux, la décision de Lille démontre surtout « la difficulté de considérer les musulmans comme des citoyens comme les autres ». « Imagine-t-on ce type de décision avec une épouse chrétienne ? Pourtant la virginité des femmes est une valeur commune à la Bible et au Coran. Autre question : imagine-t-on ce type de décision pour l’époux ? »
Pour la philosophe Elisabeth Badinter, ce jugement va « faire courir nombre de jeunes filles musulmanes dans les hôpitaux pour se faire refaire l’hymen », une pratique déjà courante. « Cette pratique est pourtant le fruit d’une méconnaissance du corps de la femme et d’un mélange entre culture tradition et religion qui n’est pas imposée par l’islam », insiste Amira Nassi, conseillère conjugale et auteure du Manuel des corps mariés (L’Eclipse).
Anne Chemin et Stéphanie Le Bars
DROIT
Le code civil. Selon l’article 180 sur les demandes en nullité de mariage, l’un des époux peut demander l’annulation du contrat « s’il y a eu erreur dans la personne ou sur des qualités essentielles de la personne ».
La jurisprudence. Elle retient comme motif de nullité, par exemple, le fait de dissimuler un précédent mariage ou un placement sous curatelle. Elle a aussi accédé à la demande d’une femme qui ignorait que son conjoint était un condamné de droit commun, et d’un homme qui a découvert après le mariage que sa femme se livrait à la prostitution.
* Article paru dans le Monde, édition du 31.05.08.