• Peux-tu présenter ton dernier disque, Désobéissance ?
Keny Arkana – Pour moi, la meilleure façon de le définir, c’est de le présenter comme un mini-album thématique autour de la « désobéissance ». En tout, neuf titres, réalisés à la « vibe », comme on dit. J’ai pas mal écrit, lorsque j’avais annulé ma tournée pour me lancer dans des forums et des assemblées populaires à travers toute la France. D’ailleurs, tu retrouveras sur le CD pas mal de paroles d’anonymes, captées lors de ces forums des sans-droits. Cela me tenait à cœur de promouvoir ce principe de la « désobéissance », histoire d’interpeller, de pousser les gens à réfléchir, à regarder en face cette obéissance aveugle qui régente nos sociétés. Pour moi, l’obéissance aveugle représente la cause de toute cette merde. Peut-être que si les gens apprenaient à penser par eux-mêmes, prenaient leurs responsabilités, beaucoup de problèmes se solutionneraient. Ce monde constitue une grande chaîne d’un nombre infini de maillons. Obéir à quelqu’un déresponsabilise tellement facilement…
C’est tranquille de prendre un sans-papiers, de le mettre en rétention et d’expliquer, ensuite, « c’est pas moi, j’obéis aux ordres ». Ok, tu te voiles la face, mais est-ce que cela te paraît juste pour autant ? Il faut arrêter d’accepter le pire, sous prétexte que c’est ainsi et puis voilà.
• Dans tes morceaux , un thème revient de manière assez récurrente, c’est l’écologie, un sujet rarement abordé dans le rap…
K. Arkana – Pour moi, la Terre ne forme pas une coquille vide. C’est une âme, un être vivant, notre mère à tous. Notre système est finalement une grosse illusion déconnectée de l’environnement. On est tous malheureux dans nos vies, tous névrosés, à chercher un bonheur dans la possession, et donc la course à la consommation. Un tel système pue la mort : la mort de la planète, de nos vies, de notre bonheur, de nos libertés. Je milite pour la vie.
• Justement, comment te considères-tu aujourd’hui : une militante , une rappeuse ?
K. Arkana – Je me moque des étiquettes. Je ne me considère pas plus comme une rappeuse que comme une altermondialiste. Je pense, par exemple, que, quelque part, nous sommes tous des artistes. Même un Jacques Mesrine ou un Diego Maradona étaient des artistes à leur façon. Ok, merci à la vie de me permettre de me faire entendre, de partager mes convictions, de les faire vivre en actes. Soit, je rappe. C’est un moyen d’expression avec lequel j’ai grandi et que je maîtrise. Mais je ne suis pas une rappeuse, dans le sens où je ne fais pas que du rap dans ma vie. Demain, je pourrai garder des convictions identiques, mais avec d’autres moyens d’expression, comme justement les assemblées populaires. Je ne veux pas m’enfermer dans une case.
• On ressent une certaine défiance, chez toi, envers les organisations…
K. Arkana – Je n’ai rien contre les organisations, je rejette ce qui est pyramidal. Car, en haut de la pyramide, in fine, cela sera toujours la même chose. C’est pour cette raison que j’évoque autant les luttes collectives que le travail personnel. Le problème n’est pas uniquement politique et social. Pour caricaturer, je dirais que c’est facile de renverser un État. Toutefois, si après on a les mêmes vices que le système, si on fonctionne comme lui, on finit par devenir comme ce qu’on prétend combattre. Dans le passé, les luttes collectives ont été tuées de l’intérieur. Ce monde est injuste, soit, mais on lutte pour quoi ? C’est important de montrer que nous sommes pleins à penser la même chose, à la base. Les assemblées populaires le permettent, selon moi. Il s’agit de redynamiser un espace populaire qui doit appartenir au peuple, pas à un parti ou quelque chose de pyramidal. De là, jailliront des trucs concrets, des alternatives.
• Tu parles beaucoup de foi, voire de spiritualité, peux-tu préciser ce que tu entends par là ?
K. Arkana – Je n’ai pas de religion et je ne suis pas religieuse. Pour moi, le spirituel implique l’esprit. N’importe quel militant athée qui se bat pour changer le monde a la foi. Celui qui réalise un travail sur lui-même, pour ne plus être à l’image du système, suit une démarche spirituelle. Je veux bien que l’on refuse le mot parce qu’il possède des connotations historiques, mais ce n’est pas parce que l’on s’est fait coloniser le vocabulaire qu’il s’impose de refuser certains termes. La foi, c’est une énergie pour avancer, résister, construire. La foi, cela n’a rien, ou ne devrait rien avoir, de dogmatique.
• Comment analyses-tu aujourd’hui la situation du rap en France ?
K. Arkana – Je le répète, je viens de la scène rap, mais je ne suis pas une rappeuse. Selon moi, il existe deux sortes de rap. D’une part, le rap « game », procapitaliste, de droite et, de l’autre, le hip-hop underground, avec des valeurs de gauche, même si c’est un peu schématique. Pour le reste, je ne peux pas te dire, je ne connais pas la vie des gens. Il y a beaucoup de choses que je ne pourrais pas accepter ou dire. Il faudrait ensuite directement poser la question aux rappeurs qui joue le jeu du système. Chacun est fait de son vécu. Néanmoins, bien qu’il s’agisse d’une musique qui vend soi-disant le plus aujourd’hui, elle demeure boycottée et elle effraie objectivement toujours autant, alors qu’elle chante globalement le capitalisme. Maintenant, dans mon cas, je ne me considère ni comme politique ni comme artiste, juste être humain, qui vit des convictions, qui les communique par l’art, qui a la chance de les mettre en œuvre par des biais politiques, au sens étymologique du terme.
– Keny Arkana, Désobeissance, Because (www.keny-arkana.com).