Bangkok (Thaïlande), intérim
C’est une catastrophe humanitaire sans précédent en Birmanie. Et pourtant, malgré un bilan provisoire, ce mardi matin, de plus de 15.000 morts et certainement des centaines de milliers de sans-abri à travers le pays, la junte continue d’affirmer que le premier référendu constitutionnel depuis l’arrivée des militaires au pouvoir en 1988 se déroulera le 10 mai, comme prévu. Une obstination qui suscite de nombreuses questions sur les conditions dans lesquelles une telle consultation doit se dérouler. L’opposition en exil a déjà demandé son report, de même que Laura Bush, la femme du président américain, qui accusé hier soir le régime d’avoir failli à sa mission d’alerter la population
Le cyclone baptisé Nargis a dévasté le détroit de l’Irrawaddy, dans la nuit de vendredi à samedi, touchant même l’ancienne capitale Rangoun où plus de 300 habitants ont perdu la vie. La zone du delta de l’Irrawaddy et quatre autres régions ont été immédiatement décrétées zones sinistrées. La junte, dans un geste peu habituel, a réclamé l’aide internationale, preuve s’il en est de son incapacité à gérer une telle catastrophe. Plus de 50 centimètres d’eau sont tombés en quelques heures, des vagues de plus de 7 mètres de haut et des vents de près de 200 km/h se sont abattus sur le delta.
Grenier à riz. Selon les premiers témoignages recueillis et les déclarations du ministère des Affaires étrangères birman, le pays n’avait pas connu de telle catastrophe naturelle depuis plusieurs générations. Le tsunami de 2004 n’avait fait qu’un nombre restreint de victimes, bien moindre que cette catastrophe. Par exemple, la ville côtière de Labutta a vu 70 % de ses bâtiments détruits par Nargis.
A Rangoun, des unités de cardiologie et de cancérologie de l’hôpital général ont été détruites, affirme l’AFP. Un responsable du ministère de l’Information birman a assuré que les autorités fournissaient l’aide nécessaire aux victimes mais que les besoins étaient gigantesques. « Des milliers de personnes sont sans abri, rien qu’à Rangoun », a-t-il ajouté. Sur place, pourtant, les premiers témoignages ne concordent pas et la population s’indigne contre les milliers de militaires qui, en septembre, avaient violemment réprimé la « révolution de safran » menée par les moines bouddhistes. Ils n’aideraient aujourd’hui que modestement à remettre en état les canalisations d’eau et les lignes électriques endommagées par la tempête.
« Le nombre exact de victimes de la catastrophe ne sera connu que dans plusieurs jours, tant les moyens de communications ont été touchés dans la région dévastée de l’Irrawady », affirmait hier à Bangkok Terje Skavdal, représentant régional pour la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Unocha). Les chiffres ne cessent de s’accroître, passant dans la journée d’hier de 4 000 à 10 000 victimes, selon le ministère des Affaires étrangères. Le grenier à riz du pays a été très fortement touché par le cyclone et les conséquences sur les futures récoltes sont encore difficiles à évaluer. Alors que la saison des pluies commence à peine, « des tablettes de purification d’eau, des moustiquaires ainsi que des équipements de cuisine devront être fournis aux victimes du cyclone », ajoute Terje Skavdal. La Thaïlande voisine devrait envoyer aujourd’hui par avion une première aide médicale.
Rationnement. L’accès au téléphone, à Internet mais également et surtout aux produits de première nécessité comme l’eau et l’essence, est devenu très difficile dans l’ex-capitale et plus encore en province. L’essence a vu son prix quadrupler depuis samedi et les files de voitures s’allongent à vue d’œil à l’approche des stations d’essence de Rangoun. L’eau est rationnée et le pays replonge dans une crise majeure, humanitaire cette fois, quelques mois après la brutale répression militaire de la fin de l’été.
D’ores et déjà, de nombreux groupes d’opposition en exil ont demandé à la junte de mettre tous les moyens en œuvre pour secourir les victimes du cyclone et de laisser l’aide internationale entrer plutôt que de maintenir le référendum de samedi. « Ce dont le peuple birman a besoin, ce n’est pas d’un référendum mais d’une aide matérielle et de soulagement. Plus de personnes encore vont perdre la vie s’ils ne reçoivent pas l’aide nécessaire au plus vite », affirme ainsi Win Min, un universitaire birman en exil.
* Paru dans le quotidien Libération du mardi 6 mai 2008.
Cyclone : un nouveau bilan fait état de 15.000 morts
C’est un bilan encore revu à la hausse. Les autorités birmanes déplorent mardi plus de 15.000 morts après le passage du cyclone Nargis. La radio, la télévision d’Etat et le quotidien officiel New Light of Myanmar, contrôlés par la junte au pouvoir, ont précisé que rien qu’à Bogalay, située au cœur du delta de l’Irrawaddy, le cyclone avait fait environ 10.000 morts.
Le cyclone Nargis, qui venait du Golfe du Bengale avec des vents soufflant à quelque 200 km/h, a frappé de plein fouet l’Irrawaddy tard vendredi soir avant de poursuivre sa progression vers l’est samedi, provoquant des ravages considérables dans plusieurs régions du sud, y compris à Rangoun, la plus grande ville de Birmanie.
Le précédent bilan officiel, cité lundi soir par le ministre birman des Affaires étrangères, Nyan Win, faisait état de 10.000 morts, mais les autorités avaient averti que ce bilan pourrait s’alourdir, les secours n’ayant pas encore atteint certaines zones reculées et totalement inondées.
Les Nations unies ont fait état de centaines de milliers de sans-abri. Le cyclone a traversé la principale région rizicole de Birmanie où vivent 24 millions de personnes, soit près de la moitié de la population de ce pays reclus d’Asie du sud-est.
La catastrophe a forcé le régime militaire à lancer un rare appel à l’aide internationale. Selon l’ONU, les autorités « ont manifesté leur disposition » à recevoir de l’assistance, mais « les modalités restent à déterminer ».
Mardi, la télévision d’Etat continuait de montrer des images de zones totalement inondées. Des équipes des Nations unies ont commencé à inspecter certains des secteurs les plus touchés mais la distribution de secours constituera « un défi majeur », a indiqué un porte-parole de l’ONU à Bangkok.
Ces régions sont jonchées de cadavres, a déclaré mardi une organisation humanitaire après avoir survolé les zones les plus affectées en hélicoptère. « Même à cette altitude, c’est accablant », a déclaré par téléphone Kyi Minn, conseiller auprès de l’association chrétienne World Vision présente à Rangoun. « Les conséquences de la catastrophe pourraient être pires que celles du tsunami car elles sont aggravées par les difficultés de transport », a-t-il ajouté.
Lundi, l’épouse du président américain George W. Bush avait accusé le régime birman de ne pas avoir averti la population de l’arrivée du cyclone Nargis. Laura Bush avait promis davantage d’aide que les 250.000 dollars débloqués immédiatement. Encore faudrait-il que le gouvernement birman l’accepte, avait-elle ajouté.
De nombreux pays à travers le monde, ainsi que des organisations internationales, ont promis de venir en aide aux rescapés du cyclone. Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a promis que l’organisation mondiale ferait tout ce qui est nécessaire pour apporter une aide d’urgence à la Birmanie, l’un des pays les plus pauvres d’Asie.
« Nous accueillerons favorablement l’assistance », a indiqué le ministre birman des Affaires étrangères Nyan Win. « Notre population est en difficulté ».
La junte avait prévu d’organiser samedi prochain un référendum sur une nouvelle Constitution, censé ouvrir la voie à des élections multipartites en 2010. Une conférence de presse des autorités était prévue ce mardi et il était impossible de prédire si ce scrutin serait effectivement maintenu, en raison de la gravité de la situation.
LIBERATION.FR (AVEC SOURCE AFP)
LIBERATION.FR : mardi 6 mai 2008